Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le voyageur internautique
27 février 2015

19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 38

maurepas4 n°38

Les tribulations de Maurepas
Troisième partie
Le vent du large.

Épisode 38

Le train des pignes était arrivé au terminus dans la nuit.  La chaleur n'avait pas encore plombé le sol. Gagner le port était simple, il suffisait de suivre la faible déclinaison du sol qui conduisait immanquablement au bord de l’eau. Maurepas était debout face à la mer. L'embarcadère semblait désert.  Un chalut au bout du quai finissait de se décrépir. Maurepas était planté là comme un enfant qui aurait perdu sa maman. Étonné de se sentir libre et effrayé à la fois. L’odeur iodée de la mer, portée par la nuit, retombait sur la ville. D’un coup, Maurepas attrapa sa valise, déposée à ses pieds, et reprit son chemin. Un chemin qui ne menait nulle part, puisqu’il ne savait pas où aller. Il avait une destination, mais pas de petits cailloux blancs pour le guider. Il remontait le quai, longeant une série de hangars. Une ombre dépliée par la lumière d’un lampadaire s’étendait sur une partie de la chaussée. Ce fut ce qu’il perçut en premier. Il redressa la tête, pour découvrir qu’il y avait là quelqu’un qu’il n’avait pas remarqué, qui faisait les cent pas. Une femme.  Il s’approcha d’elle, pour lui parler. Elle aussi finissait de se décrépir dans ses chaussures éculées.

- « On a le cœur qui chavire mon beau. »

Maurepas hésitait. L'allure débraillée et la tenue légère de la dame le mettaient mal à l'aise. 

- Tu es encore puceau petit ? Dit-elle en écrasant son mégot de cigarette sur le talon de sa bottine.

Les yeux fixés dans le corsage qui dévoilait une poitrine plantureuse, Maurepas ne comprenait pas l'évidence de l'invitation. 

- Comment vous vous appelez madame ?

La fille se mit à rire, d'un rire franc et rocailleux qui allait avec la voix éraillée par les trop nombreuses cigarettes. Mais un rire sans moquerie aucune. Elle rajusta son gilet pour qu’il recouvre ses épaules.  Un petit air frisquet se glissait par les ruelles. Il venait des montagnes environnantes.  Refroidi au contact des glaciers, il n'avait pas encore eu le temps de se chauffer en traversant la plaine.

- Appelle-moi comme tu veux. Sinon ici, on dit Pipette, la Pipette.

- C'est un drôle de nom.

- Si on veut. Qu'est-ce que tu fiches dans le coin, à une heure pareille.  Ta maman est au courant que tu traînes par ici.

Maurepas recula d'un pas. Un mauvais regard s'installa sur son visage, figeant sa bouche dans un rictus qui lui donnait un air méchant et niais en même temps. Un peu comme un petit qu'on aurait surpris le doigt dans la confiture. 

- Prends pas la mouche coco. Et dis-moi plutôt ce que tu cherches, si c'est pas un dépucelage. 

- Une maison…

- Mais encore ?

- La maison du cousin de Muguet des Souches… Comme la femme ne semblait pas réagir, il précisa : Il travaille à la capitainerie.  

- À cette heure, tu trouveras personne pour te renseigner au port. Essaye au troquet qui fait l'angle, un peu plus loin, après le hangar. Cogne aux volets s'il y a de la lumière.  Il doit être encore ouvert.

Maurepas s'éloigna en saluant la fille. 

- Insiste, ajouta-t-elle en sortant un paquet de Gitane maïs.

- D'accord. 

Il ne l'entendit pas murmurer pour elle-même que c'était un pauvre gars, un de plus qui venait échouer là, à la recherche d’un travail providentiel. Maurepas remonta le long du quai.  Deux clochards enroulés dans une couverture finissaient de cuver.  Une caisse éventrée étalait ses débris aux pieds d'une grue perchée au-dessus de l'appontement. Le ressac faisait clapoter l'eau, rompant le silence dans lequel se perdait un brouhaha diffus. Un lampadaire au bout du quai émettait une clarté jaune tombant sur ce qui devait être l'arrière du bistrot, éclairant des poubelles métalliques qui dégueulaient une partie de leur contenu sur le sol.  Maurepas passa sa valise dans l'autre main tout en avançant. Ce qui pouvait être un marin négociait avec une catin un moment d'amour dans une piaule minable.  Maurepas tenta d’interpeller ce qu'il prenait pour un couple, mais n'insista pas. L'homme n'avait visiblement pas de temps à perdre. Maintenant qu'il s'était décidé pour ce qu'il désirait, plus rien n'avait d’importance. Surtout pas un gamin qui traînait sur les docks à une heure pareille.  En arrivant devant le bar, Maurepas resta silencieux un moment.  Il entendit une vague conversation. Des bruits de verres qui se cognent. Un brusque éclat de voix. Maurepas s'approcha, toutes les ouvertures étaient closes par des cloisons en bois.  La lumière filtrait par les côtés. Il commença par frapper doucement sur les panneaux en bois, ceux de la porte.  À son grand étonnement, après un cliquetis, un petit bonhomme en bras de chemise avec un tablier bleu serré à la taille par deux tours de cordon passa la tête dans l'ouverture. Il prit tout son temps pour dévisager la personne qu'il avait en face de lui.

- « Tu vois pas qu'on est fermé ! »

Une voix issue de la salle située derrière se fit entendre. 

- C'est le grec ?

Le petit bonhomme disparut quelques secondes derrière le volet en bois. 

- Non, c'est pas lui, c'est un guignol. 

- Demande-lui ce qu'il veut. 

- Qu'est-ce que tu veux ? Questionna le gars en réapparaissant, visiblement à contrecœur.

- Je cherche le cousin de  Muguet des Souches…

- Y demande… Comment tu dis ?

-  Muguet des Souches

L'homme au tablier répéta le nom. On entendit une autre voix, bien plus grave dire qu'il s'agissait de Pipo.  Qu'il était parti et qu'il reviendrait peut-être dans deux jours. L'homme répéta ce que Maurepas avait très bien entendu. Puis il referma la porte sur un vague bonsoir. Maurepas frappa à nouveau au volet. La voix du porteur de tablier répondit sans qu’il ne prît la peine de rouvrir.

- On t'a dit qu'il était parti pour plusieurs jours, barre-toi maintenant. Ce petit con va nous faire avoir des ennuis. Cette fois, le propos ne lui était pas destiné.  Maurepas n'insista pas.  Il reprit sa valise, marcha quelques pas, puis s'arrêta. Il fit demi tout et tomba nez à nez avec la prostituée qui l’avait renseigné. 

- Alors t’as trouvé ce que tu cherchais, dit la femme sur un ton ironique.

Maurepas fit un vague signe de la tête, puis s’apprêta à reprendre son chemin.

- T' as l'air paumé mon gars.  C'est quoi ton nom ?

- Maurepas.

- Et ton petit nom ?

-  Je m'appelle Maurepas. 

Elle prit le temps de reluquer le jeune homme qu’elle avait devant elle, se disant qu’il pouvait bien au moins lui tenir compagnie.

- Je parie que tu sais pas où crécher.  Allez, suis-moi, c'est mon jour de bonté… Maurepas. Elle appuya nettement sur le nom, pour se moquer, puis elle ajouta un petit sourire compatissant.

- Viens que je te dis.

Elle l’attrapa par la main. Ce couple étrange, entre mère et fils, amante et amant, s’engagea dans l’une des ruelles qui remontaient vers le centre-ville. Maurepas sentit une sorte de lassitude l’envahir. Il avait sommeil (épisode 39).

         Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode mardi 3 mars 2015

Publicité
Publicité
Commentaires
Le voyageur internautique
  • Le voyageur internautique se propose de vous retrouver au fil des réseaux et des ondulations de la toile pour un banquet sidéral au son des ruminations mentales qui l'habitent ... Affaire à suivre !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Publicité