Des nouvelles du royaume des morts... lettre douzième

Lettre douzième

Je crois que c'est plus simple que ça en avait l'air. Le temps n'a pas de poids dans l'outre monde tout simplement parce que celui-ci en a. Je m'étais étonné, il y a déjà quelque temps de constater une déformation autour de moi. A mon retour de voyage, les objets prennent une forme oblongue. Je ne l'ai plus remarqué tout simplement parce que je me suis habitué. Ce à quoi je n'ai pas fait attention, c'est à la conséquence : l'étirement du temps. Je vois chaque particule de temps se décomposer sous mes yeux. En fonction de sa masse, je suis absorbé plus ou moins. Il y a des contractions tellement fortes qu'un tiers d'année peut se consumer en une mesure de masse. Je sais que cela doit vous paraître étrange, mais pour moi le temps est devenu une masse. Il pèse. Mais comme je n'ai aucun moyen de comparaison, je parle de masse comme je dirais kilogramme ou bien tonne ou hectogramme.

Pour en revenir à mes allers-retours dans l'outre monde, le défilé des différentes personnes que je rencontre n'a plus le même sens quand je suis de retour parmi vous.

Un autre aspect dont il me faut vous parler : mes rencontres avec Arturo. Il se passe quelque chose d'étrange. Tout d'abord, il n'est toujours pas de retour et je continue à donner le présent article au marbreur. Miguel. Je lui ai demandé des nouvelles d'Arturo, il n'a pas su m'en donner. Je l'ai un peu questionné sur le comment de leur rencontre. Il m'a dit ne pas le connaître. Il fait ce boulot contre rétribution. Comme il n'est pas très causant, il a juste précisé qu'ils se croisent au journal et qu'il lui rend service. Ça me parait étrange qu'on laisse faire ainsi les choses dans ce journal. J'espère que vous recevez bien mes articles. Ce qui me rassure, c'est la somme d'argent que je reçois pour ces écrits. J'ai du mal à imaginer qu'ils ne soient pas publiés. Vous vous dites, mais pourquoi ne va-t-il pas vérifier ? C'est l'autre partie étonnante de mon arrangement avec Arturo. Je n'ai pas le droit de lire votre journal. Sinon cela met fin à notre collaboration. Et je ne suis pas suffisamment riche pour me permettre de prendre le risque. Une fois, tout au début, j'ai essayé. Il l'a su. Il doit connaître tous les gus qui distribuent le journal dans ce satané port.

Revenons à mon précédent voyage. Et à Camille. Je sens qu'avec cet homme, je suis proche du but ultime de mon voyage dans l'outre monde. Lorsque le contact avec lui a eu lieu, j'ai subi le même effroi que pour Solange. Heureusement, j'ai trouvé le moyen de ployer le temps. Il suffit de peser sur son écoulement. Par exemple avec de la matière. N'importe laquelle excepté cette poussière infâme. Il me faut prendre de la pierre ou bien de la roche avant sa transformation.

J'ai vu ce qui fait sa part d'ombre. À Camille. C'est un amour absolu. Un amour tel qu'il a perdu la tête. Il a fait quelque chose de mal. J'ai ressenti cette part de ténèbres qui le dévore. Maintenant, elle est devenue mienne. Elle me constitue, mais elle ne m'affecte pas. Plus exactement, elle n'affecte que le temps dans votre monde (lettre 13).

Le visiteur de l'outre-monde