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Le voyageur internautique
21 août 2017

Chronique scandinave n°7

Chronique en forme de ferry boîte n°7 (retour sommaire des chroniques)

On entrait dans le passage entre l'île de Senja et celle de Kvaløy, passage que l'on nomme Solberhorden, seulement si l'on en croit les cartographes. Le capitaine, accroché à l'une des tuyères de la chaudière, hurlait à qui mieux mieux. Quelques oisifs s'étaient approchés, amusés de le voir ainsi agiter les bras en tous sens. Un vieux monsieur expliquait qu'il faisait ainsi en souvenir des anciennes manières, à la façon des sémaphores. En écartant les bras, il traduisait lettre à lettre ce qu'il croyait comprendre : "u" puis "t" "ioputtegchjdkeuq6..." Plus personne n'écoutait cette suite phonétique interminable. A l'exception d'une dame avec un gros chapeau à plumes qui pensait reconnaître un morceau de la langue norvégienne. Une jeune fille écervelée, langophile de surcroît, riait aux éclats.

- Que nenni, hurla-t-elle, vous n'y êtes pas !

Mais une bourrasque soudaine souffla la fin de son message et envoya le chapeau de la vieille dame au loin sur la houle. Cela eut pour effet de détourner l'attention qui se focalisait sur le capitaine. Les gens  s'intéressèrent soudainement à la grande question de la flottaison des coiffes en tous genres. L'unanimité se fit autour du képi, mais à condition, qu'il tombe à l'envers et qu'il soit vidé de son contenu. Seul un type grisonnant en tenue de grand aventurier portant un chapeau plat à larges bords muni d'une voilette anti-moustiques, ne s'intéressait pas à la question. Ses jumelles rivées sur les yeux, il cherchait dans la végétation luxuriante un tigre du Bengale. Personne n'osait l'informer que l'endroit n'était nullement propice à de telles observations.

Pendant ce temps, une moitié du ciel se déchirait en accrochant les montagnes sur tribord. Dans le lointain, au travers de la brume laiteuse, une risée déversait sa cargaison de pluie sur les hautes collines herbeuses. Puis le ciel s'abaissa d'un coup, nous plongeant dans un brouillard épais. Les sons, étouffés, nous parvenaient difficilement, l'opacité de l'air avait gommé le vieux monsieur et ses lettres de sémaphore. Le navire ajoutait à la brume une épaisse fumée noire et une odeur mazoutée aux relents de goudron.

Ce n'est que plusieurs heures après, une fois le soleil revenu pour darder son rayonnement sur l'île de Reinøy dans le passage de Gretsunder - toujours selon d'anciennes cartographies, pour partie effacées par les intempéries nombreuses en ces temps de misère - que nous avons acquis la certitude que le capitaine avait été happé par les cieux. Une question essentielle nous vint à l'esprit : Mais qui dirige notre navire ? Un autre vieux monsieur se dit à haute voix qu'il restait l'amirauté. Il fut interrompu dans sa réflexion par mon ami Pierre. Il tenait pour certain que l'amirauté, en l'absence de la capitainerie ne valait rien. Je pris la parole afin d'énoncer un fait indubitable : le navire majestueux, si l'on excluait les ponts inférieurs réservés à la troisième classe, suivait toujours sa route à vitesse constante. Tous opinèrent du chef, puis chacun partit vaquer à ses occupations. Je décidai de rester sur le pont supérieur pour observer cette nouvelle île qui arrivait sur nous à bonne allure. L'île de Vanna, en terre viking, là où, paraît-il, mais rien n'est moins certain, Odin prenait ses repas au-dedans des crânes des âmes perdues.

Photo prise avec mon appareil à photodessin

chron_scandi

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