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Le voyageur internautique
23 mars 2020

Chronique d’un enfermement : jour 10

Chronique d’un enfermement

Où la fiction montre comment le héros finit nu dans le canal Saint-Denis.

accès début (jour3)

 enfermement coul

Installé sur mon balcon, j’attendais que mon bol de café brûlant refroidisse. Mon attention passait des cyclamens au rosier, puis des narcisses à la lavande pour s’évanouir dans une rêverie éveillée. Le voisin du dessus fit une apparition rapide. J’attendais qu’il en appelle au « quelqu’un » erratique meublant son esprit délirant. Il ne prononça pas un mot. Oubliant le crieur silencieux, je concentrais mon attention sur le rouge-gorge qui piaillait à tue-tête. Il était posé sur la branche d’un bouleau. Mon café avait suffisamment refroidi pour que je le porte à mes lèvres, mais il n’arriva pas à destination.

- Elle est là !

L’autre abruti du dessus n’avait nullement regagné son antre et sa voix de stentor me fit sursauter, envoyant le contenu de mon bol directement sur le carrelage. J’étais sur le point de lui expliquer ce que je pensais de lui lorsqu’une autre voix, féminine cette fois, compléta la première intervention.

- En effet, je suis bien là, comment allez-vous ?

- Très bien coupa le voisin du dessus avant que ma première syllabe se soit raccordée à un deuxième pour former un début de mot.

- Je…

- Le petit Grégoire supporte-t-il avec vaillance son intervention ?

Mais alors, le bougre est donc capable de produire des phrases qui ont un sens. Plongé dans mes réflexions sur la nature de la folie, j’avais perdu le fil de la discussion. Il fallut un rappel à l’ordre adressé avec force de l’étage supérieur.

- Il ne vous entend pas, il est dans ses pensées ! Hé ho ! Voisin !

- Pardon, oui, excusez-moi, je réfléchissais à… et là, ma pensée stoppa tout net sa progression,  encombrée qu’elle était dans un méandre de neurones qui devaient avoir disjoncté.

- La jeune dame veut savoir si vous avez lu la lettre ?

Deuxième blocage des neurones. Comment pouvait-elle savoir ce que j’étais le seul à connaître. Là-dessus, une deuxième voix féminine, dans mon dos cette fois, se fit entendre.

- Je crois qu’il ne s’en est pas occupé, elle est en boule sur son bureau, précisa ma femme déboulant avec le séchoir pour l’installer sur le balcon.

J’avais occulté une informatrice essentielle, celle qui partageait ma vie.

- Va la chercher et dit-nous ce qu’elle raconte.

Je m’exécute avec une rapidité modeste pour me donner un peu de temps afin de rassembler la série des évènements dans un tout cohérent. Sur le chemin du retour, la lettre à la main, je commence à tenter de la déchiffrer, oubliant qu’arrive à ma rencontre la table basse. Un violent coup dans le tibia me rappelle sa présence.

- Tu peux pas faire attention… il est maladroit, deux mains gauches, pour le cas présent, ce serait plutôt deux pieds gauches.

Cette deuxième partie de l’intervention prenait à témoin les spectateurs extérieurs à l’appartement.

- Alors elle dit quoi la lettre ?

- Elle dit qu’elle est écrite en arabe et que je ne parle pas l’arabe.

- Regarde au dos, y a quelque chose de griffonnée.

- C’est une adresse, le 78 quai de la Marine… Et vous savez tous qui m’a remis cette lettre ?

Un oui unanime fait écho à ma question. Les informations circulent vraiment très vite dans le quartier restreint à nos trois appartements.

- Faut aller la porter à son destinataire, c’est très important. Ce serait rendre un dernier service à un pauvre homme séquestré dans les cellules de l’Etat et, qui sera mort sous peu à cause de l’épidémie.

- C’est un devoir civique, ajouta ma femme que je ne savais pas si engagée dans un mouvement de protestation dépassant le cadre de nos rapports conjugaux.

Et l’autre du dessus d’en rajouter une couche « Est-ce qu’il y a quelqu’un d’humain dehors ! » Sur cette intervention sibylline, il disparut.

- Tu dois y aller !

- Votre femme à raison.

- On est confiné.

- Tu n’as qu’à prendre ton vélo, tu as droit à une sortie par jour pour l’exercice physique.

J’ai protesté pour la forme, mais devant l’insistante majorité, qui plus est féminine, j’ai cédé.

- J’irai demain, pas avant !

Enfin quoi, qui c’est l’homme !

Jour 11

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