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Le voyageur internautique
27 mars 2020

Chronique d’un enfermement : jour 16

Chronique d’un enfermement

Quand le vraisemblable ne l’est plus, est-ce encore une fiction ?

accès début (jour3)

 enfermement coul

Ma santé ne s’améliore pas. Les aliments que je me force à ingurgiter n’ont plus goût. D’une certaine façon, c’est une bonne nouvelle. Les boîtes de raviolis à la réglisse passent mieux. Par contre, faut fermer les yeux. Héloïse a demandé de mes nouvelles, elle raconte que Paul et Grégoire se sont inquiétés de mon absence. Même le fada du dessus a souhaité savoir comment je me portais. Mais revenons à ce qui m’est arrivé au milieu de la nuit, après avoir quitté la femme syrienne.

L’échelle en planches me permet de retrouver la route facilement. Mon vélo n’a pas bougé. Je suis obligé de passer le pont d’Epinay pour rejoindre les berges de Seine. Côté rive droite. Il me faut être prudent, les miliciens patrouillent souvent à ce point de jonction entre les départements. La route est libre et je n’ai qu’une centaine de mètres à parcourir jusqu’au chemin planté de gros pavés. Des pavés à l’ancienne, ils doivent remonter au moyen-âge. Le vélo fait des bonds en tous sens, à cause du raffut, je préfère finir à pied. Remonter la Seine par les anciens chemins de halage n’est pas risqué et le chemin est praticable. Aucun éclairage et la lune a pris la poudre d’escampette, je peux rouler tranquille jusqu’au port. Il s’agit plus d’un ancien quai de déchargement qu’un port à proprement parler. Trois péniches y sont amarrées. La première est un amas de ferraille qui affleure à peine au-dessus l’eau, la deuxième est plus avenante. On y a ajouté des bambous dans des bacs, elle a été complètement réaménagée. Seul l’arrière reste délabré. Elle doit héberger au moins trois ou quatre personnes. La dernière est blanche, d’un blanc crasseux. Sur le pont, un vrai taudis rempli d’immondices. Il y a un semblant de passerelle fabriquée avec des planches ficelées sur des bidons. S’aventurer là-dessus doit être périlleux. Une faune humaine s’y relaie, ils trafiquent tout ce qui peut se revendre. La matière première est apportée par des fourgonnettes en piteux état. Elles déversent - je devrais dire déversaient, car l’épidémie a ralenti les rotations - de vieilles machines à laver ; des bicyclettes inutilisables ; des appareils hors d’usage ; etc.

Après le port, le département a installé la lumière, ce qui ne m’arrange guère pour passer inaperçu. Heureusement, la milice s’aventure rarement dans ces coins mal famés. Je dépasse la dernière écluse qui permet de quitter le canal pour rejoindre la Seine. En face, les roms ont installé leur feu de camp qui brûle à tout-va. Ils s’occupent de récupérer le cuivre en faisant fondre tout ce qui en contient. Ils n’ont que faire de moi, ce sont principalement des enfants qui viennent profiter de la chaleur. Plus loin, mais sur mon côté, il y a les campements des SDF. En général, ils ne sont pas bien méchants. Eux aussi confectionnent des feux avec tout ce qu’ils trouvent. Bois de charpente, cagettes, meubles, peu leur importe que cela produise des fumées nocives. Malgré tout, le chemin est agréable. Il est bordé de peupliers canadiens et de quelques érables, il est aménagé en contrebas des voies de chemin de fer qui mènent à Paris nord. Mon lieu de rendez-vous est après la gare de Saint-Denis. Les vendeurs de brochettes et de maïs remballent leur attirail et roulent des caddies sur lesquels ils ont installé des boîtes en fer pour constituer leur fourneau. Les affaires vont mal, une partie des gens sont confinés et l’autre partie à du mal à gagner les quelques sous qui lui permet de joindre les deux bouts.

Plus loin, ce sont d’autres groupes, certains installés en ribambelle sur les murets et d’autres autour de feux. Il y a le groupe des chanteurs, toujours accompagnés par le même vieux guitariste noir. Quelques fois s’y ajoutent des percussions improvisées sur des barriques ou des planchettes. Je ne m’attarde pas, inutile de vous le préciser. Ils me connaissent pour la plupart, car c’est ma route habituelle pour gagner mon lieu de travail, cependant, je ne m’y fie pas trop. Mon lieu de rendez-vous est proche, juste après les communaux installés près des fûts remplis de ciment. Ils forment des barrières pour interdire l’accès aux véhicules. Je dois repasser sur l’autre rive, je préfère utiliser la passerelle même si ce n’est guère pratique avec le vélo. Elle termine dans la verdure, ce qui est assez étonnant en cet endroit, aux pieds des entrepôts et des usines. Le campement que je cherche est à quelques pas. Ceux qui dorment là me sont complètement étrangers. Je crains même qu’ils ne m’apprécient guère à cause des coups de sonnette qui résonnent lorsque je passe sous le porche, car la visibilité est mauvaise.

- Je cherche monsieur Issam !

Pas de réponse, je renouvelle mon appel, mais j’ai à peine le temps de finir ma phrase.

- Tu vas fermer ton gueule connard !

Un homme en furie sort de l’ombre et se jette sur moi.

Jour 17

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