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n°33

Les tribulations de Maurepas

Troisième partie

Le vent du large.

Épisode 33

Le retour par la micheline s'était fait en l'absence de toute parole.  Ce papa qui n'était qu'un père, un parmi la multitude des autres, voyait les choses échapper.  Mais qu'y pouvait-il ? Et n'en avait-il pas été de même avec son propre père ? Mais pour l’instant, son grand bonhomme de fils, assis en face de lui, le nez planté au carreau regardait le paysage défiler. Les troupeaux succédaient aux pâtures en ce plateau que la rivière avait aplani.  Les contreforts que pourfendait le déversement en furie de l'eau vomi par la montagne, tranchant  la roche sur des hauteurs imposantes, glissaient encore dans le lointain.  De ce spectacle, le garçon ne voyait rien. Emporté par d'autres espaces, il chevauchait les mers et les océans. Sur son vaisseau imaginaire, il hissait les voiles, courrait d'un bord à l'autre pour secourir les marins gobés par les déferlantes qui traversaient le pont, jetant bas tout ce qui encombrait le plancher délavé par le sel. L'instant d'après, d’un coup de barre, il envoyait  la proue par bâbord évitant de périlleux récifs. Accroché à la roue qui actionnait le gouvernail, il ne bronchait pas quand les embruns lui déchiraient le visage. Tantôt capitaine au long cours, tantôt pirate qui courrait de port en port, il imaginait ses parents éplorés de le savoir bravant tous les dangers, loin de la maison. Et ses frères et sœurs, jaloux de le voir rentrer buriné par le mauvais temps, les bras chargés de cadeaux, le dévisageraient d'un regard émerveillé. De se découvrir soudainement, enfant dans l'enfance au milieu de cadeaux les plus exotiques, il se prenait à regretter de n'en pas être le seul bénéficiaire.  Alors il se transportait dans sa propre maison, où seul, il pouvait jouir de son butin. 

- « Tu as dans l’idée de passer la nuit dans le train ou bien on peut s'activer un peu et avoir une chance de remonter avec le colporteur ? »

Le père s’activait à retirer les achats du porte-bagages. Le petit gars émergea brutalement de son monde imaginaire, les yeux encore gonflés de rêves. Il attrapa la parka que son père lui jetait. Il s’en vêtit tout en s’engageant dans le couloir, poussé par cet homme chargé de paquets.

- « Tu vas un peu bouger tes fesses, je vois sa carriole, il a fini d'atteler ! »

La nuit menaçait d'endeuiller le ciel.  De petits nuages filaient à vive allure se suicider sur les arêtes neigeuses derrière la barrière de crêtes. Les premières planètes se déguisaient en étoiles sur le firmament. De savoir le repas qui attendait sur le fourneau, il eut le courage d'oublier ces esquifs qui courraient le fond de sa caboche. Mais le mal était fait.  Son imagination frappée de plein fouet au burin du merveilleux, venait d'entamer son travail de sape. Il prit place au côté du père, tous les deux assis sur la ridelle, les jambes balancées au rythme de l'attelage. Le père posa son bras sur l'épaule du fils. Tous deux regardaient au lointain. Chacun y laissait vagabonder ses songes au grès de l'humeur. Des songes qui prenaient des chemins bien différents sur lesquels ils avaient peu de chance de se croiser.

         Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode le mardi 10 février 2015