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Le voyageur internautique
28 juillet 2020

Maurepas : la suite (épisode 15)

Vent de folie : cinquième partie

maurepas-suite

Episode 15

Les obus de 280 tombaient trop court. Assourdissants, ils soulevaient en un souffle chaud une montagne de terre. En retombant la poussière brûlait d'une lumière jaunâtre. Respirer normalement n'avait plus cours, tant les organes torturés par les vibrations, le bruit, la chaleur, criaient leur agonie. Les soldats les plus avancés attendaient, planqués au fond des tranchées. Ils restaient accroupis de peur d’être ensevelis sous des monceaux de terre. Des flashes violents striaient la surface, ils étaient le préambule silencieux aux coups de tonnerre qui allaient succéder. Vingt minutes furent nécessaires pour réajuster les tirs. Vingt minutes, durant lesquelles, les hommes pensèrent être pulvérisés par leurs propres forces armées. Les uns accusaient les Anglais, qui n’y étaient pour rien puisqu’ils étaient occupés sur l’autre versant et que c’était le tour des Français. Les autres incriminaient la marine qui méprisait l’infanterie, c’était bien connu. Pourtant, elle n’était pas à la fête non plus, heurtée par les mines dérivantes ou bien canardée du haut de la presqu’île de Gallipoli.

Cette fureur se déchaîna durant une heure, une heure qui parut une éternité. Pourtant, ce déluge de feu avait quelque chose de rassurant, une continuité dont l’interruption signerait le moment où les hommes allaient prendre le relais. L’instant où, au coup de sifflet du capitaine, il allait falloir quitter les abris de fortune pour exposer les corps aux tirs ennemis. Lucas jeta un coup d’œil à Charles, le pauvre était terrorisé. Il saignait du nez à cause des déflagrations. Le sang noir se mêlait à la terre qui recouvrait entièrement l’homme.

Le capitaine remontait la tranchée passant difficilement au milieu des soldats encore accroupis. Il s’arrêta, consulta sa montre, passa la tête hors de la tranchée puis se rabaissa.

- Les gars, on va y aller dans une minute. On déloge les Turcs de leur planque et surtout, on leur fauche leur putain de canon de 77. Rendez-vous là-haut !

Le coup de sifflet fut long et strident. Une première salve lui répondit avant que les hommes ne s’élancent. La pente empêchait une avancée rapide, il fallait crapahuter dans la rocaille. Le tir de 77 sonna comme un avertissement, il faucha trois gars, légèrement en retrait et projeta Lucas sur le sol. Il lui fallut lutter contre la terre qui retombait sur lui. Il se tassa sur lui-même et rampa tout en repoussant l’amas qui se reconstituait sur lui. Creusant et poussant sur les pieds, il retrouva enfin la surface. Les sons lui parvenaient étouffés et indistincts. Face à lui un homme d’une stature imposante, la tête entourée d’un turban, tenant son fusil à baïonnette en travers du poitrail. Lui aussi se relevait péniblement. Il lança un long cri d’attaque dont Lucas ne perçut qu’un vague brouhaha discontinu. Lucas chercha son fusil autour de lui. Il réalisa qu’il avait aussi perdu son casque, arraché par le souffle de l’explosion. L’homme se jeta en avant, l’arme dirigée vers le bas-ventre de Lucas. Sous la force du coup, Lucas pivota et, tomba à genoux. Le Turc voulut ressortir son arme pour achever son ennemi, mais Lucas se saisit de la baïonnette à pleines mains, empêchant le soldat d’agir à sa guise. Il y eut d’abord l’apparition de la lame de section triangulaire sortant du ventre de l’Ottoman. Puis il y eut la tâche de sang qui inonda sa tunique. Ensuite ses jambes se dérobèrent sous lui. Enfin, il s’effondra au sol tout en fixant Lucas du regard. Derrière lui se tenait celui qu’on appelait « le Turc », un Français râblé du pays d’Auge. Son visage était crispé et il poussait lui aussi un cri terrible. Enfin, les oreilles de Lucas se débouchèrent d’un coup. Le bruit était assourdissant. Les balles sifflaient autour de lui, les explosions se succédaient. Son sauveur se jeta sur le côté entraînant Lucas avec lui dans la marmite.

- Ils nous arrosent les salauds. On est cloué sur place, y a rien à faire.

Lucas entendait difficilement le type de son régiment, mais il arrivait à reconstituer le sens général de son propos avec le peu de mots qu’il percevait.

- On va se faire déchiqueter. La moitié du groupe y est restée, les autres font comme nous, ils se planquent où ils peuvent.

- Où est Charles ?

- Plus haut, il est méchamment blessé, mais il était encore vivant quand j’ai foutu le camp.

- Donne ton fusil !

« Le Turc » le dévisagea, il comprit qu’il ne servait à rien de discuter. La dernière image qu’il vit, ce fut le dos de Lucas qui s’élançait à l’assaut sous la mitraille.

 

vent de folie : épisode 16

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