Ça faisait un moment que je n’étais pas venu jeter un œil dans votre lucarne !

PS J'ai oublié de vous dire que le laboratoire créatif a oeuvré encore une fois : J'attends le n°16 Enfin en ligne ! avec le texte à bibi en page 44

L'accès est encore obscurci par le néant des méandres dans lesquels je circule, mais je sens poindre le moment où je vais accoster chez vous. Le nez dans la lucarne, par le vasistas mon œil se balade, il pénètre dans un chez vous inconnu. Seul le chien semble éveillé. Qui d'autres peut bien vivre dans ces décombres oubliés. J'y vois posé sur le canapé une jupe fripée et un sous pull rouge. Ce sont là des habits de jeunes filles. Sur l'accoudoir, un béret, un short et un caleçon. Cette fois-ci ce sont des habits de petit garçon, pas plus de 7 ans. Sur le buffet une photo de famille. Il y a donc un papa et une maman qui vont avec ces vêtements abonnés là. Je vois planté au bout de l'escalier qui mène droit à l'étage une porte entrouverte avec une petite ardoise : « entrée interdite, private property ». La chambre de l'adolescente, ça ne fait aucun doute. Une longue balustrade court tout autour à l'étage, on y devine les autres chambres et une salle d'eau. Au fond de la pièce du rez de chaussée, une lumière douce s'échappe comme le fanal de la lampe tempête qui jaillit de sous le roof d'une embarcation. Il y a là, une femme, sûrement une épouse. Elle ne dort pas en cette nuit avancée, je crois entendre des sanglots. Le son parvient difficilement à franchir le vide sidéral qui peuple le monde internautique qui me sépare de vous. L’œil passe mais l'oreille reste plantée sur le bord tranchant de l'écran qui scintille en votre demeure. Cette distorsion des organes m'oblige à de terribles contorsions pour percevoir la vie qui rode aux confins de la galaxie de neurones qui vient s'amarrer à mon terminal.

Elle s'est avancée légèrement, son rimmel a ravagé son visage de sillages profonds. Le désarroi s'y lit comme la misère dans les townships de Soweto. La pauvre femme se mordille les mains en tremblant. Elle se prend à rêver de carabine. Celle de son père décédé il y a peu et qui trône sous mes yeux, fixée sur le grand mur du salon. Je saisis cet instant planté dans un présent sans passé. A-t-elle déjà fait usage de l'arme ? Et le rouge qui traverse la salle n'est-il pas celui d'un tube de peinture que le petit bout d'homme qui dort à l'étage aurait écrasé ? Peut-être en a-t-elle eu assez des machines à laver qui succèdent à d'autres machines à laver dans une ronde incessante. La femme perdue dans sa cuisine, dans ce petit matin naissant, n'en veut peut être qu'à elle-même et la boîte de cartouches, elle n'en a l'utilité que pour son propre usage.

Ce doit être une maison isolée, car par la fenêtre je vois la neige à perte de vue. Elle brille dans l'enchevêtrement des lampadaires qui serpentent jusqu'aux limites de la campagne. Notre héroïne d'un jour s'avance d'un pas décidé. Epuisée va-t-elle enfin réussir à se hisser jusqu'à sa couche et calmer sa terreur d'être là, dans un pays abandonné même par les histoires à la veillée devant l'âtre rougeoyant. Elle semble marquer le pas, elle ralentit en arrivant à hauteur du 22 long riffle pendu par sa sangle. Elle tourne la tête...

Encore une fois la connexion s'est rompue, j'ai perdu le lien qui me mène chez vous. Votre adresse IP s'est, à nouveau, dissipée dans la nuée des amas électroniques qui obstruent la toile. Une raz de marée d'informations inutiles a saturé la toile et créé cette rupture. De ces informations pour nous rassurer, pour avoir des nouvelles du monde qui se désagrège sous nos yeux. Carabine seras-tu notre dernière liberté pour une ultime mission, une humaine mission, une mission dans laquelle se désagrège notre esprit ?