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Les tribulations de Maurepas
Épisode 14
La lumière parvenait péniblement à se frayer un chemin, jusqu'au fond de la faille. Plus les deux hommes avançaient entre les parois, plus il faisait sombre. Le sentier qui s'enfonçait dans la roche, rétrécissait à nouveau. Il devenait difficile de marcher, même pour un seul homme. Maurepas se demandait comment les mules pouvaient arriver à se frayer un chemin. Car il était certain qu'en des temps plus anciens, les hommes du village utilisaient cette passe, pour convoyer le ravitaillement vers les alpages. Le sentier semblait s'enfouir dans le sol pour ne plus devenir qu'un étroit boyau. À certains endroits, il fallait courber l'échine pour ne pas se cogner la tête sur les arêtes, saillantes qui découpaient la roche. Une humidité constante entretenait une moiteur inattendue en ce passage. On ressentait un mal-être, dû autant à cette humidité qu'à la tiédeur. De la roche suintait une espèce de gras, qui se perdait dans une mousse verdâtre. Sur le sol ruisselait une eau saumâtre, qui diffusait de mauvaises senteurs d'humus. De la pourriture alors. Maurepas chercha une carcasse éventuelle, celle d'un mouflon qui aurait chuté. Ou bien qui se serait aventuré jusqu'à ne plus pouvoir se sortir du piège glissant, qui formait cet intestin de pierre. Petit Pierre se déplaçait silencieusement. Il ne semblait pas incommodé le moins du monde par les odeurs fétides, qui restaient prisonnières des muqueuses. Au contraire, il semblait à son aise, marchant d'un pas assuré comme s'il avait toujours pratiqué ce passage dans l'antre de la terre. Ce fut ce sentiment qui fit que Maurepas interrogea Petit Pierre.
- Tu viens souvent ici ?
Petit Pierre, ou bien n'avait pas entendu, ou bien était-il redevenu sourd. En tous les cas, il n'émit aucun son. Maurepas resta silencieux un moment. Il n'aimait pas la sensation qui prenait possession de lui. Il passa sa main derrière lui, fit sauter la fermeture de son étui à couteau. Du bout des doigts, il s'assura de la présence de son arme. D'un coup, Petit Pierre fit volte face. Son regard avait changé. On découvrait des yeux globuleux qui envahissaient son visage poupon. Bouche bée, les bras ballants, la tête vacillant de droite à gauche, hagard, il était ailleurs. Cela dura quelques secondes, mais une éternité pour Maurepas. Affolé, il prit Petit Pierre par les épaules et le secoua brutalement. Revenant d'un lieu par lui seul connu, tout doucement, il recouvra ses esprits.
- Non, répondit-il à la question de Maurepas, reprenant le fil de la discussion comme si rien ne l'avait altéré.
- Non quoi ? Interrogea Maurepas.
- Je ne viens pas souvent. Je connais le chemin pour l'avoir pris une fois avec le berger. D'ailleurs, on est presque arrivé.
- Tu es certain ?
- Là, en bas des marches, se trouve la porte. On débouche dans une ancienne cave adossée à la roche, tout en haut de l'ancien village.
Maurepas dévisagea Petit Pierre.
- Ça va ? Lui demanda-t-il.
- Oui, pourquoi ?
- Comme ça.
Les yeux de Maurepas avaient eu le temps de s'habituer à la pénombre et il n'eut aucun mal à repérer la lumière qui passait sous la lourde porte, fermant l'accès. Il passa devant Petit Pierre, puis il se dirigea vers la porte. D'un coup d'épaule, dans l'élan du déplacement, il fit céder la résistance des vieux gonds rouillés (épisode 15).
Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures
prochain épisode le vendredi 5 décembre