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Le voyageur internautique
20 février 2015

19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 37

maurepas4 n°37

Les tribulations de Maurepas
Troisième partie
Le vent du large.

Épisode 37

Maurepas attendait, debout, les mains enfoncées profondément dans les poches. Le train des pignes n'arriverait pas avant une bonne demie heure. S'il était à l'heure. Il suffisait qu'il charge de la marchandise plus haut et il pouvait prendre une heure de décalage. Maurepas s'approcha du guichet.  Le préposé était occupé dans l'arrière-salle où les colis entreposés s'amoncelaient.

« Félicien ! »

Maurepas patienta.  Si le train avait du retard, Félicien devait être au courant. Encore fallait-il qu'il daigne abandonner ce qu'il faisait. Il vivait dans la pièce du dessus avec sa femme et ses mouflets. Si Luce l'appelait s'en était fini des espérances de réponse. 

« Félicien, oh ! »

Il leva le nez de son bureau.  Rejeta sa casquette en arrière.  Il regarda dans la direction de Maurepas qu'il ne reconnut pas tout de suite.  Intrigué, il s'approcha.

« Tiens, c'est ton père qui t'envoie ? Mais j'ai rien pour lui, je crois bien ! Attends, je vais vérifier. »

- Non…

Lucien n'avait pas écouté la réponse.  Quand il avait une idée en tête, il la suivait vaille que vaille. Il revint quelques instants plus tard en se grattant la tête. 

- C'est bien ce que je pensais.   Y-a rien. 

- Je veux juste savoir si la micheline aura du retard. 

- À la montée ou bien à la descente. 

- À la descente. 

- C'est la marraine qui vient faire une visite à ton père ?

- Non. C'est pour moi, je pars pour la ville. 

À cet instant, Lucien remarqua la présence de la valise aux pieds de Maurepas.  Il se gratta la tête à nouveau. 

- Tu t'as fâché avec le vieux ?

- Non.  

- Il est au courant que tu y vas. 

- Oui, mentit Maurepas.  

Lucien n'insista pas. 

- La micheline sera un peu en retard, à cause des moutons sur la voie. Le temps de les faire déguerpir.

- Les bergers continuent d'emmerder les chemins de fer. Pourquoi vous ne voulez pas négocier avec eux. 

- Parce qu'ils ont insultés les fonctionnaires.

- Mais c'était à la fête de la cocarde d'y a cinq ans.

- Je viens pas me mêler de savoir vos affaires là-haut.  Alors toi et ta valise faites pas perdre de temps au fonctionnaire. 

Lucien s'arrêta net. Ce n'était pas son genre.  La tirade sur les fonctionnaires pouvait durer jusqu'à l'arrivée de la micheline, retard compris. Maurepas en était à regretter sa question quand il vit Lucien qui ne mouftait plus, les yeux écarquillés. Il mit un peu de temps à comprendre que la suite se déroulait dans son dos. 

- Tu ne vas pas aussi en ville ?

La question s'adressait à Solange qui venait de pénétrer dans la petite gare de Saint-Cernin. Une gare à peine grande comme une bicoque. En briques avec une pièce unique à l'étage.  Elle était noyée dans la végétation qui s'agrippait aux murs. Les épineux courraient le long de la barrière en bois qui délimitait un petit jardin dans lequel Luce faisait pousser le nécessaire pour la consommation quotidienne.  Une cheminée grimpait sur le côté. À la base, on avait pratiqué une ouverture pour faire un fourneau. Prévu pour le pain, jamais il n'avait servi. Les chats y avaient élu domicile.

- Pas du tout, je viens dire en revoir. 

Lucien constata que Solange n'avait effectivement pas de bagages.  Elle avait sa robe à fleurs, un joli nœud dans les cheveux et un paquet dans la main.

- C'est pour toi, dit-elle en tendant le bras en direction de Maurepas. Tu l'ouvriras dans le train. 

Solange ne savait pas vraiment pourquoi elle était là. Un espoir de retenir celui qu'elle désirait de tout son cœur. Peut-être. Tout en sachant que cela n'arriverait pas. Parce que la présence de cette maudite valise. Une valise avec tout ce qui était le strict nécessaire. Le livret de famille, deux pantalons usés mais solidement rapiécés. Ses chemises de toiles et son gros pull.  Diverses bricoles pour compléter la panoplie et la photo. Solange dévisagea Lucien, qui fit une mimique avant de retourner à ses occupations, dans la salle du fond. Puis elle baissa les yeux, les fixant sur la valise.  Comme on fixe le vieil ennemi de toujours qu'on tolère parce qu'il est là. Parce qu'il fait partie du décor. Ou bien qu'il accompagne l'ami de toujours.

- « Tu as fait le chemin pour me le donner, fallait pas. Tu vas remonter comment ? Avec la nuit qui va tomber d'un coup, tu n'aurais pas dû. »

Il y avait une chose que Solange ne voulait pas : qu'il se sente obligé de rester pour la raccompagner et qu'il remette son départ.  Et en même temps, elle souhaitait de tout son cœur, le retenir. Mais pas de cette façon-là. Pas ainsi. Pas par charité.  Par amour, voilà ce qu'elle espérait.  Alors elle inventa un mensonge auquel voulut croire Maurepas.

- Le père Pontuis va descendre pour charger des colis, il va me remonter. 

Ils restèrent silencieux tous les deux. L'un face à l'autre. Pour une fois, la micheline était à l'heure. Les bergers avaient eu maille à partir avec les paysans qu'étaient descendus pour régler des histoires de cultures dévastées par les moutons. Pendant ce temps, le conducteur, discrètement avait viré les quelques bêtes qui stationnaient sur les voies. Et l'affaire était réglée. Le train était à l'heure, même un peu en avance. Lucien prit au dépourvu attrapa son sifflet, rajusta sa casquette et fila sur le quai. 

- Hé les amoureux, c'est le moment d'y aller.  Le chauffeur a le feu au derrière !

Solange ne laissa pas le temps à Maurepas de réfléchir, elle attrapa sa valise, le prit par la main et l’entraina sur le quai. Le convoi entrait en gare, soufflant comme un diable une fumée épaisse par la tuyère. Le bruit devenait assourdissant au fur et à mesure de la progression. Maurepas tenta de protester, mais sa voix fut couverte par le crissement des mâchoires de frein. Il s’écria une nouvelle fois, mais le long coup de sifflet étouffa ses paroles. Grimpant prestement sur le marchepied, Solange déposa la valise dans le couloir. Elle redescendit aussi vite, poussa Maurepas en direction du wagon. Avant qu’il ne monte, elle se hissa à sa hauteur, l’embrassa sur les deux joues, elle passa si prêt des lèvres, qu’il était bien difficile de distinguer cette embrassade d’un baiser d’amoureuse. À nouveau, elle poussa Maurepas, un peu plus fort, puis elle s’enfuit. Ce qu’il ne vit pas, ce sont ses pleurs. Le chef de gare, la regarda disparaître dans la noirceur de la nuit comme le vent quand il descend le long de la rivière pour s’engouffrer dans le passage qui ouvre sur la plaine. Il en oublia son coup de sifflet, ce n’est qu’une fois le tain en branle qu’il souffla comme un sourd dans son instrument. Il siffla si fort et si longtemps que les oiseaux quittèrent leur nid, que la campagne en fut chamboulée tout comme il le fut de voir la belle disparaître. Plus tard, bien plus tard, quand la mère et le père de Solange vinrent lui parler, il se rappela cette dernière image. Celle d’une robe virevoltant, d’un ruban fouettant l’air, et de semelles qui claquèrent le sol, jetant des gravillons sur leur passage. Ce fut la dernière fois qu’on aperçut Solange (épisode 38).

         Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode mardi 24 février 2015

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