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Le voyageur internautique
22 mai 2015

19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 62

maurepas4 n°62

Les tribulations de Maurepas
Troisième partie
Le vent du large.

Épisode 62

Maurepas regarda Kostakis s'éloigner, il avait cette prestance de l’homme sûr de lui, aimé des siens. Même son allure, sa façon de se mouvoir imposait une sorte de respect pour lui et ceux de son clan.  Le chemin filait droit, avec une déclinaison douce qui s’accentuait sur arrivant à hauteur de la plage. En contrebas, on pouvait voir le village des pêcheurs avec les premières maisons.  Celle de Kostakis était bien plus loin.  Sur la plage, les hommes repliaient les filets. Kostakis n'avait rien dit, mais il aurait bien aimé que Maurepas s'occupe du ramendage. En passant trop prêt des récifs, les cordages avaient cédé, et le filet de Kostakis avait tourné pour glisser sur les hauts-fonds.  Maurepas savait bien que lorsque Kostakis poussait si loin sur la grève, c'était qu'il avait besoin d'un coup de main.  Mais il fallait d'abord que Maurepas reprenne pied, et recouvre ses esprits. Il se sentait empli d'une grande lassitude. Le défilement du temps l'avait laissé perdu, ce qui avait une suite logique n'en avait plus. Hier, demain, aujourd'hui se bousculaient dans sa caboche pour tenter vainement de retrouver un semblant d'ordre. 

Au-delà de l’avancée sur la mer, le vent s'était levé pour tourner à l'ouest comme l'avait prédit Kostakis.  C'était une bonne brise soutenue, l'allure idéale pour filer ses six sept nœuds sans faiblir. Maurepas se leva, puis remonta vers l'extrémité du promontoire naturel que formait la roche basaltique. L'herbe rare tentait de percer entre les failles où l'humidité résistait un peu plus longtemps. Mais surtout, il y avait le pin parasol, arrivé là, on ne sait de quel miracle. Éreinté par les coups de vent, il se jetait pourtant en avant, dépliant une partie de ses bras au niveau du sol.  On venait en famille s’y abriter du soleil quand le travail permettait un peu de repos. Les pêcheurs dépliaient de grands draps sur lesquels les femmes installaient le repas. Les enfants courraient au gré de leurs jeux ou bien grimpaient dans les branches, voulant prouver qu'ils étaient intrépides.  Les adultes les laissaient faire, ainsi, ils se préparaient à voltiger parmi les drisses pour grimper au sommet du mât. 

Maurepas aimait à venir en ce lieu paisible où la solitude était un bienfait déposé par les dieux soucieux des hommes et de leur furie.  

Le pin parasol n'était plus très loin. Quelque chose attira l'attention de Maurepas. Ce lieu qu'il aurait pu décrire les yeux clos avait un aspect inhabituel. L'extrémité du promontoire coupait l'horizon bizarrement. En avançant il compris ce qui avait changé. On avait fabriqué un dôme. Maurepas cherchait à comprendre ce qui avait bien pu passer par la tête des pêcheurs pour faire une telle chose en un lieu si austère. Par ailleurs, Maurepas n'avait jamais remarqué qu'il y avait là, sur une bonne longueur, une langue de sable ocre qui se mélangeait avec la terre apportée par le ruissellement des eaux. En réalité s'il avait prêté un peu plus attention aux jeux des enfants, il aurait vu qu'ils y réalisaient des constructions intemporelles. Avec elles, leur imagination recréait des histoires inspirées par les récits des hommes que la mer avait adoptés. 

Il ne lui fallut pas longtemps pour voir les outils, jetés là négligemment. Une pioche, une pelle.  Il se dit que le vieux allait être content.  Il s'avança pour les récupérer.  C'est à cet instant qu'il comprit. Que la mémoire lui revint. Pour en avoir le cœur net, il s’élança vers ce qui semblait une sorte de tertre. Plus petit. Plus bombé. Avec quelque chose dessus, oui, c’était bien ce qu’il croyait deviner. Un bout de bois dressé vers l’horizon. Un peu comme une sépulture. D’ailleurs, comme une sépulture. Celle de quelqu’un tellement aimé qu’on lui aurait fait cadeau de l’horizon et de l’océan avec. Entre les branches du pin parasol, perçait un déchirement de lumière glissé sous un voile de nuage, bas, s’élançant du lointain comme l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Maurepas tomba à genoux, et pria. Il ne connaissait pas les mots du prêtre, mais ce fut une longue prière solennelle, puis un hurlement, puis des coups frappés sur le poitrail, et la misère, la détresse. Enfin, la tristesse d’avoir échoué, là au bout de la lande. Puis vinrent les larmes.

« Ci-gît Mantine, celle qui fut mienne. » Mais qui aurait pu lire ce qui n’était pas écrit. Sépulture dont le nom était connu uniquement de celui qui avait creusé la tombe, avec la hargne de sa rancœur envers lui-même. Le pauvre Maurepas se releva, regarda la houle faite de vagues courtes et croisées. Il s’avança au plus prêt du vide, il ajouta un pas, puis un autre. Mais la mer n’avait que faire de son sacrifice. Une brusque rafale le jeta en arrière, les éléments se déchaînaient pour le vouer aux Gémonies. Maurepas regarda une dernière fois l’horizon, puis s’en retourna parmi les pêcheurs (épisode 63).

Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode mardi 26 mai 2015

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