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Le voyageur internautique
2 juin 2015

19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 65

maurepas4 n°65

Les tribulations de Maurepas
Troisième partie
Le vent du large.

Épisode 65

Lorsque Périandros arriva, Kostakis se leva d'un coup et s'élança vers lui. Ils parlèrent un moment en grec. Les propos étaient accompagnés d'une gestuelle exubérante.  De loin, on aurait pu penser qu'ils réglaient de vieilles histoires, qu'ils allaient en venir aux mains.  Ils s'empoignaient, s'attrapaient par le bras, se tenaient la figure et finissaient par de grandes embrassades. Périandros était un homme courtaud et râblé. Une longue chevelure crépue noyait son regard. Il avait des membres massifs et solides auxquels une musculature saillante donnait un galbe athlétique. Il portait un maillot en toile épaisse et un pantalon fait de la même matière. Seules les teintes différaient, un bleu délavé pour le bas et un ocre blanchi par le sel pour le haut. Il marchait pieds nus dans des sandales éculées dont on avait rafistolé les lanières.  Maurepas comprit que Kostakis parlait de sa personne par les regards  qu’il portait dans sa direction. Puis les deux hommes se dirigèrent vers lui. Périandros s'installa sur la chaise libre pendant que Kostakis s'occupait d'aller chercher une anisette supplémentaire. 

- Alors c'est toi le gars qui veut naviguer ?

Maurepas fit un signe de tête pour confirmer. 

- On part ce soir pour Sumatra. Kostakis m'a dit que tu t’embarquais pour la première fois sur un long-courrier. Tu sais ficeler les cordages, il m'a dit aussi. 

Kostakis revint avec la boisson dans une main et dans l'autre la cuiller et le sucre. Il emprunta une chaise à la table voisine. 

- Tu pars ce soir. Est-ce que tu veux qu'on dise à quelqu'un ?

- Non.

- C’est un vapeur, il jauge quinze cents tonneaux sur une longueur de près de trois cents pieds. C’est le Ville de Rio, il est à quai. Pour la partie voile, il y a deux mâts. On est sous pavillon français.

- Kostakis m’avait parlé du Patriote.

Périandros, se tourna vers son ami, lui donna une grande tape sur l’épaule. Ils parlèrent en grec, éclatèrent de rire. Ils s’empoignèrent, se secouèrent l’un l’autre puis s’embrassèrent.

- Tu peux l’appeler ainsi et maudire ces salops de Turcs !

Prévenir. Maurepas eut à cet instant un moment d'hésitation, une légère hésitation.  Qui pourrait-il bien prévenir ? Il ne le savait.  De tous les êtres qu'il avait croisés, il avait le sentiment qu'il ne restait que des ombres. Il était encore bouleversé par la rencontre avec la Bougeot des écarts que le village considérait comme une sorcière, faiseuse d'anges à l'occasion. Avoir parlé de son grand-père n'arrangeait rien à l'affaire, qui plus est avec cette malédiction et tous les vieux racontars que l'on susurrait au moment de la veillée pour impressionner  les enfants. Périandros observait Maurepas comme on juge d’un quartier de bœuf. L’homme était solide, une bonne musculature, les mains étaient calleuses, le fait de n’être pas très causant n’était pas pour déplaire à  Périandros qui avait horreur des vantards et des forts en gueule.

- Kostakis t’a expliqué pour le salaire et les avantages ?

- Oui, ça me va.

- Top là !

 Il tendit la main à Maurepas et scella ainsi leur accord.

- Tu peux aller t’installer dans les Casseroles, les bannettes qui se trouvent sur l’avant. Ce sont les moins bonnes. Les autres, c’est à l’ancienneté, tu comprends. Demande Paolo, il sait que tu dois venir. Il est pas causant, vous vous entendrez bien.

Maurepas prit congé des deux hommes, il fit quelques pas, se ravisa et revint vers Kostakis.

- Le trois-mâts, tu sais où il va ?

- Au fond de l’eau, il a brûlé entièrement. On dit qu’un gus a réussi à monter à son bord pour l’incendier. Mais on dit beaucoup de choses. On dit aussi que les matelots ont rejoint les enfers et qu’ils y sont à leur place.

Maurepas avait encore sa petite valise. Elle contenait un peu moins de choses. Il ne restait plus aucun pantalon, ni chemise, quant au pull, il aurait pu servir de serpillière. Par chance, il avait retrouvé la photo de Solange, déchirée, il manquait la partie droite de la photo et une partie du visage. Et le livret de famille, heureusement. C’était la seule trace qui prouvait qu’il avait bien existé quelque part. Il rejoignit les coursives, la criée était déserte, l’odeur du poisson empuantissait l’atmosphère, mêlée à la chaleur, elle prit Maurepas à la gorge. La tête se mit à lui tourner, il eut bien du mal à ne pas se vider. Il accéléra pour trouver un peu d’air sur les quais, mais la chaleur, là aussi plombait l’horizon qui tombait comme un couvercle sur l’océan. Les hommes suaient à ne rien faire, le moindre effort inondait les chemises. Le Ville de Rio n’était pas très loin, amarré près des entrepôts, pas âme qui vive à son bord. Le chargement était interrompu, un ballot énorme encore suspendu en l’air attendait d’être déposé par la grue. Le moteur diesel ne ronronnait pas, le grutier avait délaissé son engin. Une fois à hauteur de la passerelle Maurepas hésita avant de s’engager. Lorsqu’il fit le premier pas, une voix se fit entendre.

- « Qui va là ? »

À l’ombre de la passerelle, adossé aux sacs de toile, un marin sommeillait, le képi sur les yeux. Maurepas allait se présenter, mais il n’en eut pas le temps.

- « T’es le nouveau j’parie, moi c’est Paolo, suis-moi… »

Maurepas, leva les yeux, le soleil noyait l’ensemble du navire dans un halo de lumière qui rendait difficile la vision. Il se gratta l’arrière du crâne, puis s’engagea sur la passerelle qui grimpait le long du bateau. Une odeur de graisse l’accueillit, puis la masse immobile de ce monstre silencieux qui avalait un homme pour ne le recracher qu’au bout de longs mois. Sa valise à la main, planté sur le ponton sous le regard de Paolo, Maurepas se sentit seul, inutile, dépassé. Comme un enfant, mais cette fois, perdu et non émerveillé par le spectacle qui s’offrait à lui (épisode 66).

Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode vendredi 5 Juin 2015

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