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Le voyageur internautique
5 juin 2015

19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 66

maurepas5 n°66

Les tribulations de Maurepas
Quatrième partie
Vent de terre

Episode 66

La semelle battait la terre sèche du chemin. Une chaleur mauvaise s'accrochait au sol poussiéreux.  Les rameaux, brûlés par le soleil patientaient jusqu'au soir, dans une immobilité parfaite.  La vie n'était qu'un concert assourdissant de grillons embusqués dans les hautes herbes. L'air sec statique dispensait une violence rayonnante qui faisait vibrer le chemin grimpant dans la colline.  Quelques pas en arrière, Petit Pierre tentait de ne pas se faire distancer par les longues enjambées de Maurepas.  Les senteurs rabattues sur le sol se perdaient dans la pierraille. Petit Pierre filait à bonne allure et pourtant ne semblait pas souffrir de tenir ce rythme infernal. Une poignée d'étourneaux s'égosillaient au-dessous certainement perchée dans les épineux qui courraient entre les arbustes.  Rien ne pouvait rompre l'allure de Maurepas, ni la raideur de la pente, ni la soif ni même n'importe quel bruit suspect rendant ces terres à la sauvagerie qui les habitait. Les deux filaient bon train, sans un mot échangé. De temps à autre, on percevait le heurt des chausses quand elles percutaient le chemin raviné par les pluies d'orage lorsque le ciel éventré par la foudre déversait un torrent vertical jeté par le noir haineux des cieux.  Ils avaient laissé Solange sur le pas de la porte. Elle n'avait pas bougé, les regardant s'éloigner jusqu'à ce qu'ils disparaissent, mangés par la végétation.  Sans plus se soucier de sa présence, Maurepas puis Petit Pierre s'étaient élancés vers le mas. Avec une seule idée en tête, Maurepas courait plus qu’il ne marchait. Il passait en revue ce qu’il allait emporter pour partir à la recherche de son frère. La sacoche double, sa carabine. Pour les vêtements, il n’avait pas besoin de plus que ce qu’il avait sur le dos. Plus la cape en tissu huilé qui pouvait servir d’abri pour bivouaquer comme de protection en cas de fortes pluies. Les sacoches contenaient tout le nécessaire pour la route, elles étaient toujours prêtes pour le cas des grandes misères comme disaient les vieux. Maurepas prenait soin de les vérifier une à deux fois par an. Et la paire de bottes, sa paire de bottes, gagnée au long cours à la force de ses bras. Cirées avec application par une préparation que Maurepas avait appris du grand-père. Une composition à base de noir de fumée pour la couleur auquel on mélangeait soigneusement et lentement du blanc d’œuf battu. Ainsi, on obtenait une brillance de qualité honorable. Il fallait ajouter une dose de vinaigre pour lisser, sinon le mélange devenait collant et laissait des traces blanchâtres qui marquaient le cuir durablement. Pour finir, il versait une bonne tasse de bière pour lier l’ensemble et avoir la consistance voulue. Le soir, à chaque fin de semaine, dans son atelier, à la fraîche, Maurepas prenait plaisir à cirer ses bottes, et à rêvasser au fil de l’eau, l’eau qui courrait à l’arrière des navires, l’eau qui lui avait fait comprendre qu’il n’était pas fait pour la mer. Mais ça, il le savait avant même de s’embarquer. Il y a des paroles qu’on ne veut pas entendre, qu’on ne veut pas prendre au sérieux, mais tout au fond de soi, elles s’impriment et lorsque la chose arrive, il n’est point de surprise. Simplement, une grande colère, une colère contre soi. Un être au fond de l’être attend pour prendre sa revanche et jouir de la misère qui s’écoule dans les veines.

Les deux hommes avaient passé la Siame depuis quelques lieues, Siame dont il ne restait qu’un minuscule filet d’eau et une bassine dans la roche que la fraîcheur avait oubliée. Pas un gamin de s’y baignait, découragée par la pesanteur de l’air brûlant. La descente était abrupte, et la remontée éreintante. Les dernières planches qui courraient en dessous, à l’ombre de la colline, servaient de potager, les tomates s’y pressaient les unes contre les autres, belles grosses et odorantes si l’on avait pris la peine d’y poser le bout du nez. Quelques courges courraient sur le sol. Des cougourdes qu’on gardait pour  faire des instruments de musique ou bien qu’on remplissait d’eau pour faire des gourdasses qu’on abandonnait une fois vidées. Dans la vallée de la Jurance, il existait une tradition qui consistait à les décorer pour la fête des villages.

Ces cultures en contrebas n’appartenaient à personne, on les laissait pour les plus pauvres, quelque fois ceux des écarts y venaient planter ou chiper. C’était de là que venaient les pires médisances qui attisaient la rancœur envers ceux que le village tolérait dans son giron, mais pas dans son cœur. Les écarts, on disait les écartés, les manants aussi, mais le terme de cette dernière appellation se perdait. Et les voleurs d’eau. Pourtant, de l’eau, il y en avait. Elle venait par l’aqueduc des Romains jusqu’au village. On partageait les heures pour l’arrosage. Et ça faisait toujours des histoires, les mauvaises heures, c’étaient celles de l’après-midi, car l’eau partait en vapeur au lieu de nourrir les plants. Les écarts, se voyaient attribuer les heures que le comité du village voulait bien leur laisser. Mais ces terrasses-là, elles, avaient les mêmes droits que les terres du pays.

Maurepas stoppa, fit signe à Petit Pierre d’en faire autant, sans se rendre compte que lui aussi s’était arrêté dans le même mouvement. Il écoutait, cherchait à deviner les sons qui traversaient la futaie pour s’assourdir dans les contreforts des Brésans. Il était absolument certain, sans le moindre doute possible, qu’en ce lieu, un tel bruissement animal n’avait rien d’habituel. De toute sa mémoire de paysan (épisode 67).

Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode mardi 9 Juin 2015

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