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Le voyageur internautique
12 juin 2015

19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 68

maurepas5 n°68

Les tribulations de Maurepas
Quatrième partie
Vent de terre

Épisode 68

Le vent s’était levé, un  vent fou qui s’engouffrait dans la vallée au sortir des Déversoirs pour se jeter sur la mer en longeant la côte. Il s’était étoffé au cours de sa longue descente pour venir dévaster les contreforts des Bayaux. Les trois compagnons de route avaient noué un foulard sur leur visage pour se protéger de la poussière que les bourrasques soulevaient du sol. Le hululement interminable du vent fatiguait autant que la force qu’il jetait sur les corps arc-boutés.  Les chevaux, machine de fer, avançaient en brisant la déferlante qui venait buter sur leur poitrail. De leurs puissants jarrets, les bêtes attaquaient la montée pour passer les Murets du Luron, de là une route meilleure traversait les montagnes pour gagner la Ville Franche des garnisons où les hommes partaient pour la guerre. Maurepas en avant menait le convoi. Derrière suivaient Petit Pierre et Solange. Maurepas avait tout fait pour l’en dissuader, mais Solange ne voulait rien entendre. Elle disait avoir quitté Malouin pour venir voir sa sœur qui avait fichu le camp pour suivre le frère de Maurepas, et si on allait à leur recherche, elle était concernée autant que Petit Pierre qui n’était pas de la famille. Maurepas avait expliqué que le voyage serait fatiguant, que monter à cheval sur de longues distances ce n’était pas une chose de femme. Sur ces propos paternalistes, Solange avait attrapé l’un des chevaux par la crinière, lancé la jambe par-dessus le dos de l’animal et sans aucun harnachement, elle était partie au galop. Maurepas avait regardé Petit Pierre, puis s’était gratté la tête, il ne croyait pas ce qu’il voyait. Il connaissait Solange depuis l’enfance, jamais il ne l’avait vu s’intéresser de près ou de loin aux chevaux et la voilà qui montait comme une Amazone passant le fleuve Thermodon pour combattre sur les rives du Bosphore. Il ne comprenait pas non plus cette idée qu'elle avait eue de s'installer au pays de Malouin, déserté par les habitants. L'eau avait pourri de l'intérieur, donnant une dysenterie foudroyante qui avait décimé la moitié des paysans. Il fallait l'insouciance d’une vieille folle pour aller s'y cloîtrer. À Saint-Cernin pas un n'avait fait allusion au départ de Solange. Elle avait disparu après que Maurepas eut quitté le village, on la disait tellement prise par le chagrin qu'elle avait préféré partir pour la ville. La voilà maintenant fière sur sa monture chevauchant au côté de Petit Pierre.

Maurepas profita de l'abri que faisait l'abrupte de la paroi pour se couper du vent. Il mit pied à terre.  Il n'avait pas l'habitude de monter à cheval aussi longtemps. De longues heures à suivre la route poussiéreuse qui serpentait dans l'effondrement qui trouait le massif montagneux avait eu raison du fessier de l'homme.  Petit Pierre arrêta son cheval. Solange fit de même.  Du haut de leur Alezan, dans la lumière du soir naissant, ils attendirent toisant Maurepas qui faisait les cent pas.  Il se demandait si ses deux compagnons ne le narguaient pas, plantés sur leur cheval à ruminer ses paroles sur le long voyage épuisant qui les attendait.

« La nuit va tomber d’un coup à cause de l’encaissement de la vallée ». Solange regardait au loin, elle semblait survoler les sommets, traversant l’épaisseur des montagnes pour attraper l’horizon perdu au-delà des cimes. Les nuages courraient par-dessus la lumière du soleil désossée par les crêtes. Géants des cieux, ils filaient vers l’océan, piégés, ils longeaient la côte pour une échappatoire interminable.

« Là-haut, au bout du sentier, il y a une maison. » Depuis plusieurs lacets, Petit Pierre avait repéré ce bout de ferme, planté dans la montagne. La route poussiéreuse grimpait à flanc de coteau pour franchir la corniche qui dominait encore la vallée creusée par la Girance.

« Elle est abandonnée. » Maurepas ne voyait qu’une ruine à la toiture pour partie enfoncée.

Solange avait déjà pris le sentier, silencieusement, entendant à peine les paroles de Maurepas. Petit Pierre, prit la suite, de dépit, Maurepas se saisi des rênes et préféra continuer à pieds, il avait trop mal au cul.

Devant le mas, l’homme, jeune, le cheveu court et blond, un gars bien charpenté, attendait, pieds nus. Ses habits n’avaient plus d’âme, ils avaient dû être bleus, ou gris, ils n’étaient plus que usés, barrés par de nombreuses pièces de tissu. Le bougre semblait un épouvantail placé là pour effrayer les moineaux et autres bouffeurs de graines. Il se tourna, ouvrit la porte, entra pour les attendre à l’intérieur. Solange pénétra la première, Petit Pierre attendait son maître. Il n’arrivait pas à se défaire de cette habitude du manant, au service de celui qui était son destin. Point d’autre horizon que l'homme détenant le domaine et qui possède la force de travail animal. Lorsqu’ils entrèrent à leur tour, Solange était installée à une grande table, elle mangeait la soupe qui fumait dans une grande assiette que le temps avait ébréchée. Avec la main gauche, elle trempait un grand morceau de pain, avant de le porter à la bouche. Devant elle, un pichet de vin rouge. L’homme partageait son repas. On eut pensé un vieux couple, surpris en plein souper par des intrus. Maurepas accrocha sa cape au morceau de corne qui servait de patère. Petit Pierre, debout à ses côtés attendait qu’il prenne place pour s’installer aussi. Deux autres assiettes étaient posées sur la table, remplies à ras bord, encore fumantes.

- Votre sœur…

- Belle-sœur, coupa Maurepas. 

- … m'a dit que vous alliez rechercher votre frère parti pour la guerre. Continua l’homme sur le même ton.

- On peut dire cela ainsi. 

- Les paillasses ne sont pas bien propres, mais vous pouvez passer la nuit.

- C’est comment votre nom ?

- Paille, Paille de la Borne, à cause de la borne qu’est au bout du chemin. La Borne des romains qu’on dit (épisode 69).

Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures

prochain épisode mardi 16 Juin 2015

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