Le canal…

En ce jour printanier, le Canal Saint-Denis a pris un reflet vert pâle. Un vert laiteux, couleur de pastel pour l’aquarelle. Au-dedans s’y mire la passerelle où les belles se penchent jusqu’à l’ivresse. Sur le miroir infini de son asphalte se reflètent les candélabres bordant sa rive rectangulaire. Cette route rectiligne, jette en déversoir par-dessus les écluses, un fanal que le clapotis de l’eau brouille de carmin. Ces deux œils cyclopéens déposent un regard indifférent sur les péniches qui glissent vers les paysages incertains.

Mais il y a l’en dessous. Lieu du passage où règne l’opacité. Sous la surface, se promènent de silencieux silures. Gigantesques béances, aux bouches saturniennes, ils se meuvent lentement dans les tréfonds vaseux et gras. Ces créatures antédiluviennes, côtoient les caddies et les poussettes, noyés, mangés et grignotés par la rouille. Devenues ce vert-de-gris qui fait horreur, toutes ses carcasses, en ce monde inquiétant, ne sont qu’étranges De Profundis.

Comme tu es folie, toi, l’en dessous, gardien de nos songes. Abyssale, tu nous rappelles qu’à rien ne sert de chanceler, qu’il faut tout au contraire se dresser, fier et droit, faire face. Peut-être...

Tu es là, susurrant à l’oreille l’effrayante laideur qui envoûte le promeneur solitaire quand en de vaines pensées, il s’enterre. Dieu merci, grâce à toi, ce sans-souci oublieux, peut continuer à déambuler. Ami qui titube et vacille, prends garde à l’insondable habitat de nos plus noirs desseins. Prends garde au Canal, il est là pour toi et te tend les bras.

Il t’attend.

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