Maurepas : la suite (épisode 7)

L’histoire de Boris : cinquième partie

Episode 7

Maurepas découvrait en lui une sorte de fascination pour cet être gros et gras, adipeux avec une façon de se tenir qui montrait une grande retenue. Maurepas découvrait l’homme en même temps qu’il découvrait la Russie de cet ancien paysan en servage au parcours intriguant.

Les deux hommes chevauchaient côte à côte légèrement en retrait du chariot. Solange ouvrait la marche en compagnie de Pivoine. Pour une fois, Petit Pierre était installé au côté de Thérèse, il tenait les rênes pendant que Thérèse somnolait. Valentin fermait la marche perché sur sa monture, droit comme un i tel un fier cavalier qui aurait passé sa vie à cheval. Il portait le regard loin en avant, scrutant les hauteurs du contrefort.

- Quand as-tu revu le prince et la princesse ?

- Pas tout de suite. Le Barine m’a confié au vieux laquais de la famille. Un moujik lui aussi. Mais il avait la classe d’un aristocrate. Il parlait peu, mais derrière ce personnage aride se cachait un être sensible. Il m’a enseigné le métier de laquais, mais je n’étais bon à rien. Cependant, il ne perdait pas patience. Mais pour finir, c’est aux cuisines que j’ai eu ma place. Je faisais aussi le larbin, mais j’aidais principalement à la préparation des repas. Il y avait là trois femmes, deux s’occupaient du ménage et venaient aider pour le coup de feu. Koshka, ça veut dire matou ou gros chat en russe, préparait les repas, c’était une maîtresse femme depuis son enfance au service de la princesse des Coriakine. Je ne l’ai jamais entendue parler d’elle, tout ce que j’ai appris, c’est par les femmes de ménage, qui elles-mêmes n’en savaient pas grand-chose.

- Mais tu voyais bien le prince ou la princesse ?

- Au début très peu. D’abord, ils étaient souvent en voyage. Et puis on ne côtoie pas l’aristocratie russe comme ça. Quand la princesse descendait, vers midi, on me chassait pour ne pas encombrer de ma présence Son Altesse. De même quand le petit prince quittait son bureau où il officiait. Parfois, on m’envoyait aussi aux écuries pour bouchonner les chevaux. Un jour, j’étais justement aux écuries, j’attendais le retour du petit prince et de sa mère. Ils revenaient de leur Datcha au bord de la Baltique. Une fois, je m’y suis rendu. C’est le plus bel endroit du monde, j’aurais aimé, une fois, une seule fois pouvoir y retourner. Voir le soleil se poser sur l’eau, m’y baigner puis rester étendu sur la plage. J’aurai passé mon temps à attendre la venue de l’automne quand les pins changent de couleur dans la lumière tamisée du soir.

- Tu pourras t’y installer, plus tard.

- Non.

- Pourquoi non ?

- Tu poses trop de questions, tu devrais apprendre à écouter.

Boris donna quelques coups sur la bride, le cheval partit au galop, il passa le long de la carriole et fila rejoindre ceux qui cheminaient en tête. Maurepas resta seul, sans comprendre la réaction de son compagnon de voyage. Il allait devoir patienter jusqu’en fin d’après-midi pour que Boris revienne à ses côtés, car il revenait toujours, comme s’il avait besoin de la présence de cet homme qui l’écoutait rappeler les souvenirs de son enfance.

l'histoire de Boris : épisode 8