19 heures c'est à nouveau l'heure du feuilleton ! épisode 46
Épisode 46
Maurepas avait rejoint les autres gars au bistrot. Tous étaient silencieux éparpillés en des endroits différents. Deux se trouvaient en terrasse, devant un pichet de vin blanc. Un autre accoudé au comptoir semblait attendre sa commande. Les trois derniers attablés chacun a des endroits différents, ou bien lisait le journal, comptait leurs sous ou encore s'occupait avec un jeu de cartes. Seul le gars au comptoir salua d'un revers de main l'entrée de Maurepas.
- Toujours fourré au chaud.
S'écria le joueur de carte solitaire. Sa remarque tomba à plat, il reprit son activité. Les cartes lui échappèrent des mains pour tomber en vrac sur le sol.
- Tu bois trop de tisane, ça te monte au ciboulot.
C'était celui du comptoir qui parla sans lever le nez du verre qui venait de lui être servi. Maurepas en étendant son bras, saisit deux croissants dans la corbeille en osier, pris une orange dans la coupe à fruits et commanda un grand chocolat.
- C'est l'heure du goûter pour le biquet à maman. Après une bonne pipe, on a besoin de se remplir la panse.
- Tu peux pas la fermer un peu.
Ce fut encore le type accoudé au comptoir qui parla. Cette fois, il tourna la tête vers le joueur de cartes.
- Y a quelque chose qui te revient pas dans ma tronche ? Non, alors occupe-toi de tes fesses, tu seras gentil.
Le joueur de cartes ne moufta pas, il ramassa ses cartes, histoire de passer à autre chose.
- Si on ne peut plus plaisanter…
- Non, on peut plus !
Le silence retomba, on entendait que le bruit des coups de balai que passait le patron, celui des chaises qu'il retournait de mauvaise grâce sur les tables, s'en suivait un regard appuyé en direction de ceux qui occupaient les lieux depuis trop longtemps à son goût.
Les oranges étaient juteuses à point, le chocolat diffusait un fumet agréable. Les croissants rassis ne réussirent pas à atténuer le plaisir de Maurepas. Un vrai petit déjeuner de châtelain. Pour pas un sou. Le deuxième croissant, trempé dans la tasse pour l'attendrir prenait la direction de la bouche grande ouverte de Maurepas lorsque Arturo entra au pas de course dans le bistrot.
- On décampe !
Tous réagirent au quart de tour. Maurepas fourra comme il put son croissant dans son bec, il ramassa sa besace, se dirigea d'un pas rapide vers la sortie.
- Hé ! P'tit gars, t'oublies pas quelque chose.
Maurepas se tourna à peine pour répondre : « Arturo m'a dit qu'il paierait pour moi. » S'en suivit un grand éclat de rire collectif.
- Tu verras ça avec lui, pendant que tu y es, tu lui diras de payer mon loyer ! Allez, file les sous.
Il finit sa phrase en changeant de ton, un ton cassant et le plus sérieux du monde qui ne souffrait aucune contestation. Dans son bistrot, il était le seul maître à bord. Il menait sa barque d'une main de fer. Le crédit n'avait pas court, les échanges de bons procédés oui, éventuellement. L'un des gars lui refait une partie de la toiture, il buvait et mangeait à l'œil. Mais le patron tenait les comptes précisément. À l'œil oui, mais pas ad libitum. Maurepas jeta une pièce de cinq francs. Le patron mit suffisamment de temps pour rendre la monnaie afin que Maurepas soit obligé de déguerpir avant d'entendre le tintement des piécettes sur le comptoir en étain (épisode 47).
Feuilleton publié tous les vendredis et les mardis à 19 heures
prochain épisode mardi 31 mars 2015