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Le voyageur internautique
18 mai 2020

Chronique d’un enfermement : jour 64

Chronique d’un enfermement

La fiction des temps modernes n’est qu’une redite des temps anciens.

accès début (jour3)

enfermement coul

Je ne vois qu’une seule solution pour retrouver ma vie d’avant !

Quelques heures avant, j’avais délaissé le camp des Roms pour continuer à longer le canal jusqu’à la gare de Saint-Denis. Totalement déserte à cette heure du petit matin, elle se dressait dans la brume. Qu’y a-t-il de plus triste qu’une gare vide traversée uniquement par le personnel de nettoyage ? Pour rattraper le quai, j’avais dû faire un léger détour. Il m’en a coûté un effort surhumain. Une force puissante m’attirait sur le chemin qui borde le canal. Je prenais appui sur le muret pour repousser mon corps. Je sentais le vide qui s’ouvrait devant moi comme un appel. Il s’en fallut de peu que j’escalade le muret pour me laisser choir cinq mètres plus bas sur le quai en pavés. Une quinzaine de pas me séparaient de l’accès au chemin bordant le canal, mais ils furent interminables. Je devais à chaque pas, arracher mes pieds du sol. Je marchais dans un goudron fondant à fur et mesure de ma progression. Je m’enlisais dans la chaussée. Un pauvre type arriva à ma rencontre, il était ivre mort. Sans raison aucune, il me poussa brusquement pour m’écarter de sa route. Je perdis l’équilibre et tombai lourdement sur mon cul. Cette chute contredisait ce que je ressentais. Comment, enlisé dans le sol, je pouvais basculer aussi facilement ? Cependant, pour me relever, l’enjeu fut tout autre. Je dus m’agripper à un panneau et tirer de toutes mes forces sur la barre pour me hisser péniblement sur les genoux.

Je repris tant bien que mal ma progression jusqu’au petit escalier. Quelques marches menaient au bord du canal. Ce fut une libération. J’étais comme aimanté par lui. Un instant, j’ai cru que c’était l’eau verdâtre qui me tendait les bras. Ce qui me tendait les bras, c’était le pont qui se profilait dans les reflets du soleil rasant.

Ai-je dormi ? Je ne peux le certifier. Mais une certitude, je sais maintenant que je suis sur le point d’atteindre mon but et je sais exactement ce que je dois faire. Je dois me libérer de ce qui me relie à un monde qui n’est pas le mien. J’ai été piégé malgré moi, emporté dans un feuilletage du temps qui m’avait propulsé ailleurs. La force qui me poussait, était celle de la libération. J’ai lutté tant que j’ai pu, j’ai refusé de comprendre, mais c’est fini. La vérité m’apparaît, éclatante. Il faut pour cela que je m’approche sans être découvert. Il y a un taillis formé par des petits arbustes, je m’y abrite. Ceux qui sont là forment les gardiens d’une antique cité. Je dois contourner leur camp et me faufiler dans la travée aux pieds d’une fortification de fortune. Je sais bien qu’il s’agit là d’un avant-poste. Le plus difficile reste à faire. Pénétrer dans la forteresse. Il y a eu un barrage qui rend l’accès compliqué. Le moindre bruit éveillerait la garde.

Je contourne la place-forte, mais la présence d’une trappe me jette sur le sol.

J’ouvrais les yeux pour découvrir un caddie que la vase avait rendu marron. Le bord du canal est à quelques centimètres. Je roule sur le côté pour éviter de tomber dans ce puits sans fond. Une chance, la soldatesque n’a pas été alertée. Je décide de reprendre mon approche. Cette fois en rampant. Le fortin n’est pas défendu, certainement trop sûrs d’eux-mêmes, les hommes ont abandonné les tours de veille. Le premier poste est à deux pas, je me glisse furtivement sur le côté, masqué par l’ombre profonde qui a pris possession du lieu.

Je me souviens, il faut atteindre le dernier campement.

Un craquement soudain. Une palette moisie n’a pas tenu sous mon poids. Les gamelles qui y sont entreposées ne sont pas tombées, une chance. Le réchaud à gaz, non plus. Un sac de sport encombre le passage, à l’intérieur, de piètres habits récupérés dans une quelconque bourse aux vêtements. Un type sort le nez de sa tente, il baragouine une langue inconnue. Je comprends qu’il veut dormir. Une chance qu’il ne réveille pas la troupe entassée dans ce dortoir improvisé.

Je prends le risque de longer le fossé qui protège les murailles de l’assaut. A tout instant, je peux rouler dans ce cul de basse fosse. Une eau noire et grasse dans laquelle sommeillent d’horribles créatures veut m’attirer à elle. Que je sois happé pour toujours dans ce monde de ténèbres. Je résiste de toute mon âme. J’ai une mission à accomplir : sauver mon monde de l’oubli, le rappeler ici et maintenant. Je fixe mon attention sur cette unique tâche, je ne dois penser qu’à cela et rien d’autre. Ni ma disparition dans le marais saumâtre qui entoure l’endroit, ni ces murs immenses qui protègent ce camp ne peuvent entraver ma progression.

J’y suis presque. Sera-t-il là ? Oui, car cela ne peut être autrement. Il est la résultante de toutes ces forces qui m’ont conduit à lui. Je dois retrouver celui que j’ai perdu, mon double qui s’est extirpé de moi pour devenir ce fantôme évanescent absorbé par le monde que j’ai perdu.

Plus que quelques pas. Je sais où il se tient. Un peu plus loin, ce ne peut être que lui. Tous les autres sont endormis dans leur tente de fortune. Je regarde une dernière fois derrière moi. Ce qui était une forteresse imprenable n’est plus qu’un tunnel crasseux sous lequel dorment des miséreux. Les buissons ont repris leur aspect ridicule. Le sol n’est plus jonché que de détritus abandonnés par les vagabonds. Le canal lui-même est redevenu ce qu’il était : un simple chenal pour les péniches en quête d’un bord de mer.

Tout reprend forme. Je suis proche de réussir. Cet état de fait renforce ma conviction qu’il n’y a qu’une seule solution à mon problème : Simon.

Comme prévu, il est là, il semble n’attendre que moi. On le dirait grandi, plus puissant. Ses épaules sont plus larges, son visage plus dur. Son regard cherche encore dans le ciel une quelconque vérité. Il sait que je suis venu pour lui.

Jour 65

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