Maurepas : la suite (épisode 11)

L’histoire de Boris : cinquième partie

Episode 11

Il n’avait pas fallu longtemps pour aménager un campement. L’habitude commençait à porter ses fruits. Ils n’avaient plus besoin de discuter pour savoir qui allait planter les mâts ou bien qui s’occuperait du chariot et de l’attelage. Chacun avait sa tâche à accomplir et s’associait à un autre compagnon pour agir sans échanger une parole.

Ils étaient tous installés autour du feu. Petit Pierre avait attrapé un lièvre en le poursuivant à cheval avant de se jeter sur lui. Il s’était arraché la moitié du bras et l’avait raté. Boris l’avait tiré à la carabine, déchiqueté pour être précis. Ils étaient devant les restes du pauvre animal. Maurepas regrettait la bonne soupe de poissons préparée par Boris. Tous étaient bien silencieux. Ils essayaient d’oublier la solitude du monde qui les entourait. Le ciel dans lequel scintillaient les étoiles était d’un noir absolu, de temps à autre quelques chauve-souris emportaient dans leur sillon une poignée d’étoiles pour les remettre aussitôt à leur place. Ce fut Maurepas qui rompit le silence.

- Boris m’a raconté son histoire, il en était arrivé au moment où il rejoignait Vladivostok. Je propose qu’il nous raconte la suite. Cela nous mènera sur le chemin des rêves avant d’aller nous coucher.

Tous se regardèrent, puis se tournèrent vers Boris attendant de savoir ce qu’il allait en dire. Boris prit tout son temps. Il attisa le feu, délassa ses chausses, tapota son képi sur sa cuisse. Il se leva pour aller chercher du bois, le jeta dans le brasier rougi par les charbons incandescents. Il s’allongea sur le côté, s’enroula dans sa couverture et se mit à ronfler.

- Espèce d’imbécile, tu vas arrêter un peu de les faire languir, plutôt de le faire languir. Tu vois bien que notre ami se décompose. Si tu continue à le faire enrager, il va se jeter sur toi et de dévorer à pleines dents.

Boris grogna, puis se redressa. Les dévisagea un à un et rigola d’un rire franc. Une façon de dire qu’il était content du tour qu’il venait de leur jouer.

- À Vladivostok, j’ai joué tout l’argent que j’avais et j’ai tout perdu en quelques jours. Alors je fais toute sorte de petits boulots. Au cours de l’un d’eux, j’ai travaillé pour un vieil homme, Stéphan Ourianov. Je livrai le bois pour le chauffage. J’étais resté pour lui ranger son bois dans l’appentis et voilà qu’il me raconte que son major d’homme l’a quitté. Ayant accumulé suffisamment d’argent, il voulait s’installer dans sa propre maison avec une femme qu’il avait trouvée certainement dans un bouge. Bref Stéphan cherchait quelqu’un. J’avais appris à tenir une maison chez les Coriakine, j’avais des références, il m’a pris à l’essai. Le brave homme avait une fille qu’il aimait par-dessus tout. Elle avait tout juste seize ans et il ne savait que faire pour la contenter.

- Comment se prénommait-elle ? Questionna Maurepas.

- Et voilà notre cosaque qui recommence avec ses questions ! Petit Pierre attrape ma flasque et passe-la moi, j’ai le gosier qui se dessèche.

Petit Pierre fit ce que Boris désirait, il passa donc la flasque à Maurepas. Lequel se garda bien de faire de même.

- Son prénom, sinon rien à boire, expliqua-t-il tout en dévissant le bouchon. Puis il s’en servit une grande rasade.

- Oui, ajouta Valentin, le nom de la petite.

- Toi aussi tu t’intéresses à cette jolie fillette. Valia, c’est le diminutif de Vissilissa.

- Vassilissa la très belle, intervint Solange. Ne serais-tu pas en train de nous endormir avec un conte de ton invention.

- Ma belle, les histoires sont la propriété de celui qui les narre, s’il plaît à celui qui l’écoute d’y croire tant mieux, si ce n’est pas le cas, libre à lui. Donne-moi donc cette satanée bouteille. Pour la suite, il m’en faut bien plus qu’une rasade.

Boris vida la flasque d’un trait. Il se leva pour rajouter du bois.

- Tu ne vas pas recommencer avec ce maudit feu. Dis-nous la suite.

- Je la dirai sur le chemin, demain, c’est notre dernière étape avant d’entrer dans la grande cité.

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