Des nouvelles du royaume des morts... lettre quatorzième

Lettre quatorzième

Je pense qu'il s'agit de mon avant-dernière lettre. Je suis arrivé à cette conclusion, car vous, habitants d'un espace-temps qui n'est plus le mien, vous avez une forme qui montre un étirement démesuré. Il m'est dorénavant très difficile de vous percevoir. Vous n'avez plus que l'épaisseur d'un trait. Bientôt un cheveu. C'est un signe imparable. Par contre, le poids du temps est un élément particulier qui m'est propice. Il me suffit de me glisser dans des interstices de temps qui pèsent infiniment lourd pour avoir des siècles pour accomplir ma tâche et chose géniale, je ne suis pas affecté. Enfin pas directement. C'est vous qui êtes affectés. Vous vous étirez. L'espace se contracte. Pour vous donner un exemple concret, pour écrire la présente lettre, j'ai pris cent treize ans. Une phrase tous les deux mois. Mais pour vous cela n'aurait pris qu'une heure.

Arturo. Il a beaucoup changé. Pas en forme, car il n'est toujours pas affecté par la distorsion du temps et de l'espace. Son caractère. Il est dur avec moi, je sens en lui une haine qu'il ne tente plus de masquer. Au temps de notre première rencontre ça devait déjà être le cas, mais je ne l'avais pas perçue. Je ne m'explique pas le pourquoi de la chose, mais cela n’a plus aucune importance. Je continue d'écrire pour vous. Je n’ai plus aucun doute sur le fait que vous lisiez mes écrits, sinon je ne serais plus parmi vous depuis longtemps, la planche de salut sur laquelle je m'avance aurait définitivement basculé dans le néant. Voilà aussi la raison qui fait que je continue à prendre la plume, vous êtes ce qui me rattache au monde.

Je n'ai pas grand-chose à vous communiquer sur mon avant-dernier voyage. Il se résume à une chose. Je l'ai enfin rencontré, CELUI qui était le but de mon voyage. Après tous ces autres, IL m'est enfin apparu. Étrangement, d'être arrivé au but de ma quête m'apporte une certaine sérénité, mais peu de réponses. Je sais seulement que je suis apaisé, mes tourments s'en sont allés, une paix intérieure m'a gagné. Les frayeurs, les appréhensions quant aux visites dans l'outre monde s'en sont allées de la même façon. Je vais vous faire une confidence, j'y ai trouvé ma place. C'est un peu comme si j'y étais attendu, un chez-moi empli de connaissances. Il ressemble à un monde de souvenirs, mais où les souvenirs seraient palpables.

Une dernière chose, je sais enfin la tonalité du monde. C'est une note bleu émeraude, de ça aussi, j'ai oublié de vous parler. Les sons ont une couleur. Presque tous, il y en a un qui est particulier, lui n'a pas de couleur, c'est la tonalité de l'outre monde.

Je m'en vais LE rejoindre, IL m'attend. Nous avons beaucoup de choses à nous dire, de souvenirs à partager. C'est un peu comme s'il était de ma famille, un peu comme si TOUS les êtres qui peuplent ce monde étaient ma famille. IL a une révélation à me faire, je ne sais laquelle, mais je sens qu'il y a là, le sens profond de cette quête. Ce sera le propos de mon dernier courrier (lettre d'Arturo).

Le visiteur de l'outre-monde