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Le voyageur internautique
26 avril 2015

Des cartes postales de Paimpol, comme s’il en pleuvait encore un peu ...

Pour un beau paysage, il faut …

… trouver le bon aérographe. Sinon le site terni, la mer prend une couleur bleue passée, une façon de jean délavé. Et le chou maritime, il ressemble à de la laitue au rayon frais du supermarché, le grain de la roche, le galet, le sable, tout à la même sauce grisâtre.

Un coup de chance, l’aérographe était là, son tablier descendant sous ses genoux, car il était accroupi, pour remonter à la base du cou. De ces toiles épaisses qu'on trouvait naguère chez les paysans. De son outil, muni d'un compresseur à gaz, il soufflait une teinte mauve tirant sur le violet.  Clochette après clochette, il recouvrait la bruyère cendrée qui courrait entre les bandes sablonneuses.  L'eau qui composait la délicate volupté de la mer avait déjà reçu son content de couleur. Voyant que je scrutais l'horizon avec attention, le vieux bonhomme retira ses lunettes cerclées de fer, se leva péniblement et tout en regardant lui aussi le lointain, il s'adressa à moi. 

- L'ensemble prend tournure, n'est-ce pas ? Je n'ai pas encore eut le temps de faire les fonds marins.

- Est-ce utile, avec le scintillement argenté qui parcourt la surface on ne le distingue pas.

Le visage tourné vers les étirements rocheux agrippés, les uns aux autres, que l'écume enrobait de blancheur,  il ne répondit pas tout de suite. Il estimait, portant son stylet au niveau des yeux, il étendit son bras, puis vint le constat.

- Je vous comprends bien, mais c'est par impossible comparaison. 

Il ôta ses longues bottes, déposa ses lunettes pour enfiler un masque de sous-marinier.  Il s'enfonça dans l'eau pour disparaître petit à petit. Les algues, la rocaille, l'ensemble caillouteux puis les roches, tout ce monde au-dessous du niveau de l'eau, après  son passage, colora la mer, lui donnant un relief inattendu. Il ressortit dégoulinant, recouvert de varech. Tout son attirail fut déposé à même le sol, ainsi que les algues qui pendaient sur sa tête lui faisant une chevelure ahurissante.  Un air satisfait habillait son visage jovial.

- Alors, qu'en dites-vous ?

- Magnifique.  La maison encastrée entre les deux immenses roches mériterait un peu de pastel pour atténuer ce rose granite. 

- Mademoiselle, sachez qu'il y a des impératifs. Il m'est interdit de faire n'importe quoi.

- Ah !

- Je vous sens déçue. Mais imaginez que je sois pris d'un coup de folie. Comme ce peintre à l'oreille coupée. La mer serait jaune, le ciel rose et le soleil noir, où irions-nous ! Ça vous fait sourire.

- Excusez-moi mais vous aviez l'air si sérieux tout à coup.  Je vous ai vexé ? Vous ne me parlez plus. Que puis-je faire pour me racheter. Je vois que vous avez là, derrière vous, si si je le vois, ça ne sert à rien de vous décaler sur la droite. Je sais qu'il y est, l'autre instrument. Mettez la couleur et je m'occupe des Ajoncs, ils ne sont pas terminés et vous avez pris du retard. 

Sans un mot, mais avec un sourire, il se saisit du pistolet. Il adapta un petit tuyau qu'il relia à un récipient rempli de jaune canari.

- Pétale par pétale. Vous voyez cette partie, là. Oui, c'est bien ça.  Puis toute la lande jusqu'au bosquet de pins maritimes. Mettez ce masque sur votre joli minois. Faites un essai que je règle la buse du diffuseur. Attendez.  Voilà, parfait. Essayez à nouveau. Vous êtes douée, ça ne fait pas l’ombre d’un doute. 

Nous partîmes chacun de notre côté. Lui suivit le petit chemin qui passait entre deux étangs d'eau saumâtre, parsemant d’une trace sinueuse, le promontoire que la marée basse avait découvert.

Après m'être déplacée d'une bonne centaine de mètres, je finissais le bosquet d'ajoncs pour remonter la colline qui débordait la ribambelle de galets courant le long du rivage. Je n'avais pas pris garde au macareux, enfoui dans l'entrelacement de branchages qui donnait au buisson la forme d'une boule. Le temps de réaliser, il avait la tête toute jaune et l’instant d’égarement avait pris fin. Mécontent l’oiseau, d’un envol furieux, disparut dans le ciel pour se diluer dans le bleu. Cela donna une jolie teinte turquoise. 

- Bravo !

Il arrivait criant et agitant les bras dans tous les sens. J’avais commis une faute, j’attendais la sèche réprimande.

- Bravissimo. Jamais je n'ai réussi une telle beauté. Vous êtes une artiste. Que c'est beau.

Il m’attrapa par le bras, ne touchant plus terre, il m’emporta.

- Filons sur la grève, vous allez m'aider à retoucher les trois habitations noyées dans la verdure. Il faut les faire ressortir un peu. Nous avons tout juste le temps. 

- Je peux vous demander quelque chose.

- Oui, si c'est dans mes attributions. 

- Je voudrais tomber amoureuse. Trouver la personne qui fera de moi une femme épanouie. Je voudrais porter la vie en moi. 

- Vous êtes une bien jolie demoiselle, et si je fus plus jeune, un peu moins bedonnant et sans cette calvitie naissante, ça va de soi, mais calvitie quand même, je me serais volontiers proposé pour vous rendre service. Mais je crains que Leandri, ma tendre épouse qui peint l'envers du décor, ne soit pas vraiment d'accord. Je vous ai fait rougir. Belle satisfaction.  La dernière fois que j'ai fait rosir une jeune fille, attendez  ça remonte à… loin. 

- Alors, vous pouvez faire quelque chose pour moi. J'ai tout juste vingt ans et le temps passe vite.

- Finissez votre bosquet et rejoignez moi dans la cabane, celle qui se situe tout au bout de la lande. Après l'étendue de silènes, celles qui précèdent le chemin de chou maritime. Ne vous méprenez pas, ils sont bleus, c’est à cause du printemps, il est en avance.

Je me précipitais, bâclais un peu mon travail, groupant les pétales pour les peindre trois par trois.  Je rangeais mon attirail et courrais le rejoindre, piétinant sans vergogne les choux et la salade. J'entrais dans la maisonnette. Un doux fumet de potage embaumait la pièce. 

- Approchez-vous de la fenêtre.  Ça va être l'heure, ils vont venir. Vous n'avez pas très bien travaillé. Impatiente jeunesse. Fougueuse belle personne. Allons donc. Regardez tout là-bas, il va venir s'installer sur l'un des rochers, il choisit toujours le même. Voyez-le, il s'assied confortablement sur la mousse. Il a une brindille entre les dents et il regarde fixement les vagues qui forment une trainée blanche en se jetant sur les brisants.  Il vient tous les jours et il attend. J’ai créé les teintes de l’endroit pour piéger un beau jeune homme. Ainsi, j’ai peaufiné une idylle amoureuse. Je crois qu'elle vous est destinée. 

Je n'ai jamais eu l'occasion de remercier l’aérographe. Je fais un pèlerinage en ce lieu, tous les mois d’avril, autour du vingt. Mais pour mon plus grand malheur, à chaque fois le paysage est déjà terminé.  Je voudrais lui présenter mon enfant, lui dire mon nom et celui de mon compagnon.  Je crois que ce bonhomme a accroché une partie de mon âme dans ce décor féerique et depuis, je reviens pour trouver cette partie de moi que j'y ai laissée.

À Plougrescant, entre deux rochers, il y a une maison. Elle domine une belle étendue d'eau où les dieux sont venus s'abreuver.  Petit Paul y court et la fille que je porte en moi, bientôt fera de même, car un enfant roi, a besoin d'une reine pour partager son royaume. 

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