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Le voyageur internautique
26 avril 2020

Chronique d’un enfermement : jour 46

Chronique d’un enfermement

Quand on retourne la fiction comme un gant, sur l’autre face, on retrouve la réalité en propre.

accès début (jour3)

enfermement coul

Ma femme avait eu l’idée qu’il fallait avoir en si peu de temps : le voisin fou. Il était en internement psychiatrique donc l’appartement était vide et la chance voulait que du temps où il était saint d’esprit, il nous avait confié ses clefs « au cas où ? »

Il nous avait fait cette proposition le jour où nous avions perdu nos clefs et qu’en revenant de vacances, j’avais dû faire de l’escalade à partir de sa fenêtre pour atterrir sur mon balcon. Moyennant un carreau cassé, nous avions ainsi pu regagner nos pénates. Un carreau et un pantalon, car je l’avais raccroché à un piton malheureux. Un piton en ferraille. Les serpents dans le fin fond du 93 ont du mal à se reproduire à part dans les tuyaux en fuyant les appartements de collectionneurs imbéciles.

A l’intérieur, ça empestait le renfermé. Se surajoutait une odeur épaisse de gras et de transpiration. Le pauvre homme ne devait plus se laver sur les derniers jours. La baignoire débordait de linge moisi et le lavabo n’avait plus réellement de couleur. Entre un jaune pisseux et dégoulinures suspectes. Les placards de la cuisine regorgeaient de paquet de flocons d’avoine que les vers avaient colonisés depuis longtemps. Sur la table, trônait la succession des derniers repas sous forme de conserves ouvertes, dégustées à même la boîte.

Nous étions à peine arrivés, ma femme venant de déguerpir pour rejoindre notre appartement, que la milice déboulait à notre étage, accompagnée du gardien. Je fis « chut » pour faire taire ceux qui ne parlaient pas. Etant le seul à faire part de mon mécontentement sur l’état du lieu qui était censé nous accueillir, j’appliquais ma consigne à moi-même et fis silence.

- Pour cet appartement, je n’ai pas obtenu le double des clefs…

- Et la loi sur la transparence citoyenne alors, elle est faite pour les chiens, hurla un des miliciens. Vu le ton, ce ne devait pas être un membre de la famille du gardien.

- Le monsieur était fou, il n’a pas voulu obtempérer !

- Et vous l’avez signalé aux instances du département de vigilance sanitaire ?

- Je sais plus, osa le pauvre homme, sentant qu’il était dans une mauvaise posture.

J’appréciais pour la première fois l’incompétence de notre gardien contre laquelle je passais mon temps à protester lors des assemblées de copropriétaires vigilants.

- Pourquoi ! cria très fort le même vigile qui devait avoir un sens limité de la rhétorique.

« Parce qu’il a été interné. » proposais-je silencieusement dans ma tête. A mon grand étonnement, j’entendis le gardien répéter ma phrase à quelques nuances près. « Il a été envoyé chez les fous… » Un instant, je crus à la transmission de pensée. Je décidais de renouveler l’expérience avec « Et ta mère, elle fait vigile chez Auchan ! »

- Je suis vraiment désolé, dit le gardien d’une voix pleurnicharde, comme lorsqu’on lui demande de s’expliquer sur les poubelles qui sont restées dehors.

Pas de chance pour la transmission de pensée ! Les vigiles continuèrent leur inspection dans les autres logements, étage par étage, entrant avec le gardien chez tous ceux qui étaient absents.

Nous étions enfin tranquilles, le calme était revenu dans l’immeuble et nous pouvions penser à notre installation dans ce taudis. Pour mon compte, je l’envisageais avec un certain dépit, quant à Bassem et Simon, c’était plutôt avec une certaine joie, ça les changeait un peu de leur condition de vie habituelle.

Cinq minutes plus tard, on tambourinait à nouveau à la porte.

- Attention, j’entre, murmura le gardien. Je suis seul.

- Vous aviez les clefs ? m’étonnais-je.

- Oui, mais c’est pas la question, la milice va réquisitionner un serrurier, il faut que vous partiez très vite.

- On va redescendre chez nous, comme ça, ils seront bien eus…

- Ils seront bien eus de rien du tout, ils ont laissé un homme à eux de faction devant chez vous !

« Merde » fut la seule pensée qui me vint à l’esprit. Elle résumait parfaitement ma situation.

Jour 47

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