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Le voyageur internautique
30 mars 2020

Chronique d’un enfermement : jour 19

Chronique d’un enfermement

Etre une fiction ? Ne pas être une fiction, est la question !

accès début (jour3)

enfermement coul

Je marche difficilement jusqu’à la commode, le stylo et le carnet y sont posés. Ils semblent si lointains. Chaque pas me coûte. Le souffle commence à manquer, j’ai la sensation d’avoir couru le marathon de Paris, mais dans ma chambre à coucher. Maudite commode, quelle idée de l’avoir placée sous la fenêtre, à l’autre bout de la pièce. Je me suis reposé en m’appuyant sur la chaise qui est venue à ma rencontre comme par enchantement. Je suis à mi-chemin. Encore au moins trois pas. Peut-être quatre. Je désespère, quatre pas, c’est de la folie, jamais je ne toucherai au but. Tout ça pour un carnet et un crayon. J’ai lâché la chaise, mais je la reprends instantanément. Manque de chance, je m’étais trop écarté, elle incline légèrement, deux pieds quittent le sol. L’incertitude sur la direction dure un temps infini.

- Je ne peux pas te laisser cinq minutes sans que tu fasses l’enfant !

Je suis étalé au milieu de la chambre, la chaise affalée sur ma tête. Je découvre le visage de ma bien-aimée dans l’encadrement en bois du dossier. Le carnet et le crayon sont toujours sur la commode, ils me regardent de leurs yeux moqueurs. Ma femme m’aide à me relever et me réinstalle sur le lit.

- Dans ton état, il ne faut rien tenter. Que faisais-tu ?

Je désigne du doigt les deux crétins qui rigolent bêtement.

- Tu ne pouvais pas attendre mon retour. Tout ce bazar afin d’écrire des âneries qui ne passionnent personne. Tu ferais mieux de lire Tolstoï. Tu m’as suffisamment cassé les pieds pour que je le remonte de la cave, tu pourrais au moins faire semblant de t’y intéresser. Peut-être que ça t’inspirerait.

Elle a touché juste. Elle s’en rend compte et regrette de suite. Elle revient vers moi et m’embrasse le front.

- La voisine a encore demandé de tes nouvelles, elle s’inquiète pour ta santé. Le voisin aussi, il voulait savoir si tu n’étais pas mort.

Enfin seul, je regarde tristement le plafond qui s’obstine à soutenir le lustre, lustre qui pointe vers moi. Il se termine par une sorte de flèche couleur cuivre. Ne va-t-il pas se décrocher et me perforer l’abdomen ? C’est idiot d’imaginer un tel scénario, excepté dans un film d’horreur avec des zombis. Parfois, j’ai l’impression d’être le héros d’un mauvais scénario où les morts-vivants attendraient à ma porte pour transmettre le virus. Sauf que le zombi, c’est moi !

Je vais essayer d’avancer dans Guerre et Paix. Je me perds un peu entre les princes et princesses. Zombrosky, Alexandrovitch, Bobsky, Bébérsky. Au final, je ne sais plus qui est qui. Moi aussi, je pourrais mettre un nombre incalculable de personnages pour noyer le lecteur dans des aventures rocambolesques. Mais non, pas question, j’ai une éthique.

- Mon chéri, tu parles tout seul. Et je ne voudrais pas te contredire, mais Tolstoï ne se contente pas de noyer le lecteur, comme tu dis, avec un nombre imposant de personnages.

Elle a toujours raison. Elle m’énerve un peu. Je la verrais bien en princesse Karaguine vêtue d’une pèlerine en zibeline et d’une longue robe de mousseline, gonflée de jupons en dentelle. Elle s’adresserait à moi : « Prince Boris Droubetskoï », avec son ton hautain et… Je déraille. Je ferais mieux de vous parler de mon retour du canal. Je n’ai pas la force, je remets ça à demain. Je préfère lire un peu. Je ne me rappelle plus qui est celui qui fait le pari idiot de boire une bouteille entière de rhum assis sur la rambarde d’une fenêtre au troisième étage.

Jour 20

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