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Le voyageur internautique
31 mars 2020

Chronique d’un enfermement : jour 20

Chronique d’un enfermement

Croire, est-ce une fiction ?

accès début (jour3)

enfermement coul

Chose promise, chose due. Aussi, je ne vous parlerais pas de moi, mais de la lettre et de mon futur nouveau vélo. Reprenons là où nous avons laissé Bassem et Simon, le fou furieux.

Nous longeons la rangée de tentes Igloo pour nous arrêter à hauteur de celle qui doit appartenir à Bassem. Devant, il y a une caisse métallique tapissée de cendres froides. Elle doit servir à faire du feu, d’ailleurs, elle est totalement noircie. Entre deux tentes, on a rangé une bicyclette.

- Elle appartient à mon voisin, explique Bassem en ressortant de sa tente, c’est son outil de travail, il livre des repas.

C’est un bel engin et Bassem a dû découvrir mon regard empli de convoitise. Il range dans sa poche le poing américain qu’il tenait à la main. « On va rendre une petite visite à nos amis Roms. » La formulation ne laisse présager rien de bon. Je propose de rester là et d’attendre son retour sereinement et par la même occasion, en profiter pour surveiller sa tente. On ne sait jamais, un rôdeur. Je bafouille une tentative de justification sur l’utilisation malencontreuse de terme ‘rôdeur’ puisque les rôdeurs en question, ce sont eux.

- Ne vous faites pas souci, pour ça, y a Simon. Et vous avez pu vous rendre compte de son efficacité redoutable. Pour cette raison, on prend soin de lui. Nourri blanchi et logé. Autre avantage, il ne dort jamais et les chiens ont peur de lui. Enigmatique non ?

J’observe une dernière fois le Simon en question. Il est droit comme un « i », les mains dans les poches et il semble absorbé par un spectacle lointain qui n’existe que dans sa tête. Il est fluet et sec, mais tout en muscles. Il doit avoir une vingtaine d’années et ses cheveux bouclés sont presque orange tellement ils sont roux. On a du mal à voir en lui un vigile aussi efficace.

Bassem a revêtu une veste en cuir et un bonnet en laine. « Ce que tu cherches est chez les Roms. » Je comprends qu’il s’agit de me trouver une nouvelle bicyclette et je fais un clin d’œil complice. Nous remontons le quai en direction de la gare de Saint-Denis, le camp de Roms est installé juste après, sur le côté de la dernière écluse. La nuit est d’un noir de suie. Une kyrielle d’étoiles s’y perd pendant que la lune n’y est pas. Nous croisons quelques fumeurs de narguilé. Plus loin, deux buveurs de bière avec leur carton d’Heineken ont les jambes qui pendent au-dessus de l’eau sombre et luisante. On la dirait épaisse et grasse, il n’en est rien une fois qu’on est dedans. Certains jours, une armée de petites bouteilles vertes flottent à mi-corps le long du canal. A croire que ce sont les seules qu’on trouve sur le marché, avec les flasques de vodka Poliakow. Mais aujourd’hui ne surnagent que les habituels déchets plastiques relâchés au gré du passage des péniches dans les écluses.

Lorsque nous arrivons sur la place de la gare, les vendeurs à la sauvette ont déguerpi. Il ne reste que quelques caddies-barbecues abandonnés suite à une énième descente de la police. L’endroit est désert et fortement éclairé. Nous avançons dans l’ombre de la palissade. Il faut se faufiler dans le contrebas au pied de l’avant-dernière écluse avant la jonction avec la Seine. Nous passons le pont de chemin de fer. Dans l’ombre, des flashes de lumière apparaissent pour disparaître aussitôt. Je suis sur le point de filer à toutes jambes en sens inverse, mais Bassem a anticipé mon idée. « A tous les coups, ce sont des tagueurs, la milice ne vient jamais traîner se guêtres par ici. » Nous approchons furtivement, histoire de ne pas prendre de risques. Une hypothèse reste une hypothèse, jusqu’à ce qu’elle soit démentie par les coups de matraques. Mais en effet, ce n’est qu’une bande de jeunes qui nous ignorent. Ils sont absorbés par l’œuvre qu’ils créent. Un gigantesque ‘Fuck la milice’ en forme de doigt qui se dresse entouré d’une faune d’animaux sauvages magnifiquement représentée.

Nous passons la rangée d’arbres qui agrémentent cette promenade aménagée le long du canal pour arriver devant une maison blanche aux volets en fer. Tout est cadenassé. Il s’agit de l’ancienne demeure des éclusiers. Depuis l’automatisation, elle n’est plus habitée que par les chats et occasionnellement les clodos. Je fais remarquer à mon guide, que nous sommes du mauvais côté pour rendre visite aux Roms. « On va traverser par l’écluse, comme ça, on leur fait la surprise ! » Je ne vois pas très bien pour quelle raison on leur ferait une surprise, surtout que nous n’avons aucun présent à leur offrir.

Jour 21

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