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Le voyageur internautique
6 avril 2020

Chronique d’un enfermement : jour 26

Chronique d’un enfermement

Fiction, mon amour.

accès début (jour3)

enfermement coul

Les journées se suivent en une ronde monotone. Aujourd’hui pas de nouvelles. Ni bonnes, ni mauvaises. La courbe de l’infection se stabilise. Pour le voisin du dessus, ce n’était qu’une rumeur qui s’est propagée dans l’immeuble. Il faut avouer que personne ne l’aime. Encore moins sa femme et sa fille, puisqu’elles sont parties vivre ailleurs. Le pauvre a été hospitalisé et non interné. Les gens sont bêtes parfois. Ma femme m’a appris que j’allais enfin avoir la visite du médecin de la milice locale. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne affaire. Le verdict pourrait m’envoyer en centre de confinement.

Parlons plutôt de Nour et de son accueil avant que je ne me retrouve à nouveau confiné chez moi.

‘Quel succulent repas’ sont les premiers mots qui viennent à l’esprit. Je me rappelais le goût de la nourriture mijotée autrement que dans des boîtes de conserve. Les enfants ont mangé avec nous, assis sur le tapis. Entre deux cuillers, ils levaient les yeux et m’observaient à la dérobée. Ils étaient étonnés de me voir gigoter en tous sens. Un coup sur une fesse, un coup sur l’autre, alternant avec la position romaine, appuyé sur mon coude. Eux, assis en tailleur et Nour les jambes repliées sous elle, étaient figés comme des statues grecques. A la fin du repas, je suis allé puiser l’eau dans la Seine pour le nettoyage. Au moins, elle a l’eau courante à portée de main. Puis je suis retourné sur mon trône observer ce petit monde.

« Vous dormir tout le temps » Entendis-je en émergeant d’une bonne sieste. Le reste de l’après-midi est passé très rapidement à partir du moment où les enfants et moi, nous avons commencé à jouer. Ils ne connaissaient pas le jeu de dames quant à moi, je ne connaissais pas le jeu du Chech Bech. Ils ont beaucoup rigolé de me voir perdre chaque partie en me trompant dans le sens de circulation des pions. Des capsules de bière, retournées pour faire les blancs.

Le soir, nous avons terminé le khoresht bademjan. Je crois qu’il s’agit d’une sorte de ragoût d’aubergines et de viande. Il était encore meilleur réchauffé. Puis est arrivée l’heure de se séparer. Je ne saurais décrire exactement les émotions qui nous traversaient. Une hésitation, les regards des enfants, un remerciement maladroit. Je lui ai tendu machinalement la main, ce qui est interdit à cause de l’épidémie. Elle me l’a prise à deux mains et nous nous sommes séparés maladroitement. Je suis allé récupérer l’échelle, je l’ai appuyée sur le muret. Mon vélo m’attendait de l’autre côté, mon vélo trop petit avec sa plateforme gigantesque en bois. Une fois sur le pont d’Epinay, j’ai foncé en direction de chez moi. La nuit m’enveloppait dans son manteau d’anonymat. Pas un véhicule, ni aucun piéton. Le désert. Devant l’immeuble, les miliciens jouaient aux cartes, je suis passé par le sous-sol.

Ma femme a ouvert la porte, a regardé à droite et à gauche pour vérifier que personne ne nous observait. Précaution inutile, mais il s’agit chez elle d’un réflexe de survie. Elle m’a demandé ce qui s’était passé pour que j’arrive seulement maintenant. Elle parlait tout le temps, ne me laissant pas répondre. Une façon à elle de gérer l’angoisse et la peur. Soudainement, elle s’est effondrée sur le canapé et elle a craqué. J’attendais ce moment-là le ventre noué, je savais qu’il serait inévitable. Tout comme la maladie qui s’était emparée de moi.

Jour 27

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