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Le voyageur internautique
9 mai 2020

Chronique d’un enfermement : jour 59

Chronique d’un enfermement

Dans une fiction, lorsque le héros s’assoit sur une chaise, est-ce que cela a vraiment de l’importance ?

accès début (jour3)

enfermement coul

Trouver un stylo dans un camp d’internement n’est pas chose facile.

La corvée de bois avait duré jusqu’à vingt-deux heures. Au moment de remballer, j’ai eu un instant de frayeur. Les miliciens nous rassemblèrent au fond du bois et ils armèrent leur fusil-mitrailleur. Il y avait derrière nous une fosse et j’ai bien cru ma dernière heure arrivée. Ils se mirent à nous compter, puis nous ordonnèrent de faire nos besoins avant de rentrer au camp, car l’accès aux latrines serait impossible. Etonnamment, il nous fut aisé de faire ce que nous avions à faire tous ensemble. ‘Corvée de bois’ résonnait encore pour moi et la peur qui y était associée, lorsque nous regagnâmes le convoi.

Le voyage me parut beaucoup moins long au retour qu’à l’aller. J’en vins même à penser que j’avais dormi une partie du temps. Le camp me parut plus étendu bien que nous n’eûmes pas à le traverser à pied puisque le convoi s’arrêta pile devant l’entrée du baraquement. Les dimensions et le rapport entre elles semblaient avoir retrouvé un peu de cohérence.

Nous eûmes droit à un repas un peu plus étoffé en récompense de notre travail. Je suppose qu’ils estimaient que cela valait pour salaire. J’étais épuisé et il ne me fallut pas longtemps pour partir au pays des rêves.

Rêves écourtés par le son du clairon qui annonçait le rassemblement sur la place d’armes. Tous se pressèrent d’enfiler leur vêtement et au pas de course nous arrivâmes pour assister à la levée des couleurs. Je ne sais pas pour quelle raison ce rituel paraît interminable. Déplier le drapeau, l’accrocher, le hisser lentement, fixer la corde au pied du mât : une heure. On dirait qu’ils prennent plaisir à nous faire haïr le pays associé à ce maudit bout de tissu. Puis ce fut l’appel.

Je dois avouer que je n’en menais pas large, il me fallut un effort considérable pour ne pas me pisser dessus. Eh bien, je n’eus pas assez de force. Ce fut en entendant mon nom et mon prénom que mes sphincters se relâchèrent.

- On est dans quel camp ? ne puis-je me retenir de questionner.

Le type à côté leva les yeux vers le haut pour me faire comprendre où il fallait regarder. ‘Camp d’internement de Bergerac’ Le coup dans le haut du mollet vint ponctuer la fin de ma lecture.

- On ne parle pas dans les rangs, salaud ! Corvée de nettoyage !

Deuxième coup dans l’autre mollet. Celui-ci avait une autre façon de ponctuer ses interventions. Tout aussi désagréable.

J’étais donc de corvée toute la matinée. Je promenais donc mon nuage de poussière où me portait mon balai en espérant qu’on m’ait gardé mon petit-déjeuner. Tout en réfléchissant à ma situation des plus étranges, je me dirigeais au lieu de rendez-vous fixé par Bassem.

Deux éléments se présentèrent à moi. L’un dans mon esprit perspicace et l’autre à ma vue atterrée. Comment comprendre que dans ce camp je sois connu et inscrit nommément. Dans le baraquement, personne ne fut surpris de me voir, mon voisin que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam m’appela par mon prénom. Le chef de chambrée utilisa mon nom pour m’attribuer mon rang au moment de l’appel. J’avais donc un passé dans ce lieu, un passé qui m’échappait totalement. Un passé qui se superposait avec celui du camp de Vernet !

Lorsque j’arrivais au lieu du rendez-vous, ni Bassem, ni Simon ne m’attendaient. Par contre, si la gare de triage était bien là, elle s’étendait sur une zone bien plus importante et la forêt des chasseurs avait disparu. Plus exactement, elle avait été repoussée dans le lointain, sur la droite.

La bonne nouvelle, j’avais pu emprunter un stylo pour inscrire le signe de reconnaissance entre moi et Simon. Je l’avais fait en appuyant fortement et en repassant à plusieurs reprises afin qu’il soit parfaitement visible et pour longtemps.

Accroché à mon balai, j’attendais la venue de Simon, comme on attend le messie. A la place, ce fut un milicien qui me rappela fermement qu’il fallait que je continue à pousser mon nuage de poussière jusqu’à l’autre bout du baraquement. Je m’attendais à un méchant coup quelque part, il n’en fut rien, celui-ci se contenta de me houspiller. Pour un peu, je l’aurais embrassé.

Jour 1

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