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Le voyageur internautique
13 avril 2020

Chronique d’un enfermement : jour 33

Chronique d’un enfermement

La fiction d’un homme a-t-elle forcément l’allure d’une femme ?

accès début (jour3)

enfermement coul

J’étais enfin arrivé à hauteur de 78, je glissais mon vélo derrière l’arbre de la fois dernière. Je jetais un coup d’œil à droite et à gauche, pas âme qui vive. Je me penchais par-dessus le parapet afin de me saisir de l’échelle cachée dans les fourrés. En général, elle se trouve sous la glycine sauvage. Une agréable odeur baignée par la douceur du soir s’élevait jusqu’à mes narines. Je poussais un peu plus loin, jusqu’aux ronciers. Pas plus d’échelle. Plutôt que d’appeler, au risque d’éveiller l’attention sur l’autre rive - le bruit porté par la fraîcheur de l’air avait une fâcheuse tendance à traverser le fleuve pour s’en aller vagabonder - je me décidais à enjamber le muret. Avant de lâcher prise, je me laissais pendre de toute ma longueur. Je me réceptionnais sur mes pieds et évitais de justesse la galipette ridicule. J’époussetais les débris de fleurs qui décoraient ma tenue et je m’apprêtais à frapper discrètement à la porte. Porte qui n’existait plus, car tout l’avant de la petite maison avait été enfoncé. L’intérieur avait été mis à sac. Le foyer qui servait à chauffer le faitout avec été balayé d’un coup de pied et le faitout avait atterri un peu plus loin. Il gisait renversé sur le sol, le couvercle à ses côtés, tombé bancal sur sa poignée. La banquette de fortune qui servait de literie avait été éventrée certainement en montant dessus afin de passer au travers du socle constitué par les palettes. Je ressortais atterré par la violence qui se dégageait du lieu. Mes yeux tombèrent sur les petites figurines éparpillées sur le parterre terreux. Mes jambes flanchèrent, je finis à genoux, pleurant comme un enfant. « Pourquoi avoir fait ça ? » répétais-je plusieurs fois, comme s’il y avait quelqu’un pour me répondre. Je ne savais trouver et ne sais toujours pas trouver les mots qui pourraient remplacer ce « ça », comment qualifier ce que mes yeux ne pouvaient contempler sans verser une larme. Puis vinrent les images de cette pauvre femme avec ses trois enfants, bientôt quatre dès que son joli petit ventre arrondi aurait atteint la taille suffisante pour enfanter. Je n’osais pas la croire malmenée, bringuebalée d’un endroit à l’autre préservant sa marmaille de l’animosité des agresseurs.

Combien de temps je restais sur place, je ne saurais le dire avec précision. Je ne pus m’empêcher de faire un peu de rangement, rétablissant ce qui pouvait l’être, reconstituant ce paysage agréable qui m’avait tant ému. Je replaçais la banquette et les tapis. J’ai cherché longtemps avant de retrouver la boîte en métal qui servait de foyer. Elle avait fini sa course en contrebas, coincée dans les racines d’un arbuste, pour partie noyée dans l’eau noire de la Seine. Je pris beaucoup de risques inutiles pour une boîte en ferraille qui plus jamais, certainement, n’aurait d’utilité. Mais c’était pour moi une tâche aussi essentielle que celle de respirer. Ce que je sauvais ainsi, c’était autant mon âme que Nour et ses enfants. Je restais prostré dans ce cabanon, assis devant un foyer mort. J’y avais mis du petit-bois, mais n’avais rien pour l’allumer. Les allumettes avaient disparu, je ne possédais pas de briquet, alors je regardais ce feu imaginaire me remémorant chaque instant passé en compagnie de Nour, chacun des jeux avec les enfants. Le temps n’avait plus n’importance, d’ailleurs rien d’autre n’en avait.

Ce fut la voix de Bassem qui me sortit de ma torpeur.

- Tu es revenu pour Nour…

Il me dévisagea gravement ? Je fondis en larmes, moi assis et lui debout me faisant face de toute sa hauteur. Il s’accroupit me caressa délicatement le visage puis essuya mes larmes avec le revers de veste râpée. Je réussis à articuler quelques mots dans un hoquettement fébrile.

- Que lui est-il arrivé ? A elle et ses enfants…

- La milice est venue les chercher pour les renvoyer en Syrie. Ils étaient ici illégalement et son compagnon est soupçonné de terrorisme.

- Mais c’est impossible, elle était si gentille, comment pourrait-elle…

Je ne réussis pas à terminer ma phrase. Une phrase idiote qui voulait expliquer qu’une telle femme ne pouvait s’acoquiner avec un mauvais homme.

- Il avait seulement fait parti des Agnettes, le groupe de Gennevilliers.

- Celui des marteaux ?

Bassem m’observa intrigué se demandant l’espace d’un instant, si je n’étais pas moi-même un peu marteau.

- Je les ai croisés dans la soirée, il criait un slogan qui parlait d’un marteau. Est-ce que ce sont des communistes ?

Bassem éclata d’un fou rire qui dura plus d’une minute durant laquelle j’avais l’impression d’être un imbécile patenté.

Jour 34

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