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Le voyageur internautique
14 avril 2020

Chronique d’un enfermement : jour 34

Chronique d’un enfermement

La fiction est une peau de banane glissée sous les pas du néant…

accès début (jour3)

enfermement coul

Bassem m’avait convaincu de l’accompagner à son campement. Il ne voulait pas me laisser seul face à mon désarroi. Désarroi qui s’était teinté de colère. Je lui répétais inlassablement la même question « Pourquoi elle et ses enfants, si gentils et agréables ? » Il finit presque par se fâcher. « Tu crois peut-être qu’elle est la seule à qui ça arrive ! Il faut ouvrir un peu les yeux. Des gens comme nous, il y en plein les centres de transit ! » Je le dévisageais sans vouloir comprendre. Pour moi, la misère s’arrêtait à cette famille qui m’avait fait la grâce de m’accueillir chez elle une soirée. Je restais silencieux jusqu’à ce qu’on arrive au canal, près du campement. Bassem me prit la main, je la lui tendis et me saisis des siennes et les serrais très fort en le remerciant pour sa gratitude. « Une seule main, la gauche ! » Je tournais vers lui un regard interrogateur. « Tu veux finir dans le canal ? » J’obtempérais et vis apparaître mon étoile de David sur la paume de ma main.

En arrivant au campement de fortune, je me présentais directement devant Simon avec quelque appréhension. Je mis ma main bien en avant. Il se détendit, et sembla enfin me reconnaître. Il me fit l’accolade et me prit par l’épaule en me faisant signe de le suivre. Nous passâmes de l’autre côté du pont, Simon se glissa dans un buisson pour en ressortir tout fier avec mon vélo. « On a réussi à le repêcher ! » J’avais un peu de mal à reconnaître ma bicyclette tant elle était couverte d’une boue marron clair, mais il s’agissait bien de mon engin. « Un coup de jet et il sera tout beau. » me dit Bassem en souriant.

Simon tint absolument à ce que je partage leur repas. Un gros sac de chips périmés et un vieux picrate qui empestait le vinaigre. Mais que pouvais-je faire d’autre que d’accepter. Nous nous réunîmes autour d’un feu de camp improvisé pour fêter nos retrouvailles.

- Que peut-on faire pour Nour et sa famille ?

Bassem resta silencieux. Il n’eut pas besoin d’en dire plus. Il savait qu’il n’y avait rien à faire sinon espérer qu’elle retrouve Issam et un coin de terre accueillant dans son pays. Nous fûmes un moment à parler de tout et de rien, du temps qui était clément, de la lune qui était en phase décroissante. Je m’habituais au picrate infâme, alternant avec une poignée de chips goût oignons. Elles avaient surtout le goût du sel et du gras.

- Tu ne m’as toujours pas expliqué pour quelle raison tu as rigolé quand je t’ai parlé de marteau.

- Parce que le mot que tu crois avoir entendu n’est pas marteau, mais saorato. En arabe, ça veut dire révolte.

- Que se passe-t-il vraiment, le gouvernement parle d’émeute et prolonge le confinement à cause de ces bandes de…

Je ne trouvais pas comment finir ma phrase.

- Gueux, bande de gueux, tu peux le dire.

- Mais ils sèment la pagaille et nous ne pouvons plus sortir !

- Ceux que tu n’oses pas nommer, ce sont des gens comme Nour, moi et Simon, ni plus ni moins.

- Vous êtes dans ces émeutes ?

- On est le groupe des métalliers et tout à l’heure, on ira installer les barricades du côté de Stalingrad.

- Le métro ?

Bassem éclate de rire à nouveau et prit Simon à témoin. « Qu’est-ce que tu dirais de partir pour la Russie reconstituer les soviets ! » Bassem me fila une tape amicale dans le dos. « Il faudrait que tu viennes plus souvent, avec toi, on rigole bien ! Hein Simon qu’on rigole bien ! » Simon opina de la tête, mais sans le moindre sourire, car son visage était figé, comme toujours, ce qui empêchait de percevoir les sentiments par lesquels il était traversé.

- Y a-t-il d’autres groupes ?

- Les ramasseurs de bois, les recycleurs et… qui j’oublie Simon ?

- Les fondeurs !

- Si tu ajoutes tous ceux qui n’ont rien ça fait un paquet de monde.

- Quelle est la raison de votre colère, je ne comprends pas.

- Vous étiez confinés pendant que nous, on crevait en masse, la voilà la raison !

- Et les coups de matraque, ajouta Simon.

Jour 35

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