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Le voyageur internautique
15 avril 2020

Chronique d’un enfermement : jour 35

Chronique d’un enfermement

Quand j’entends le mot fiction, je sors mon revolver… à amorces !

accès début (jour3)

enfermement coul

Il avait réussi à me convaincre de l’accompagner du côté de Stalingrad. Simon fidèle à son habitude se figea en attendant l’arrivée d’un Tortor pour le jeter dans le canal et accessoirement, jeter un œil sur mes vélos. A pied et à marche forcée, il fallait une bonne heure. Nous avons suivi le canal jusqu’à la Villette sans problème, la milice devait être occupée ailleurs. Au fur et à mesure de notre progression, notre groupe prenait de l’ampleur. Avec nous, se trouvait le frère de Bassem, un brave type, petit et trapu avec une chevelure longue, épaisse et grasse. Sa tenue n’aurait pas dépareillé dans un défilé de vagabonds. Il parlait très mal le français, mais je compris très bien ce qu’il dit en parlant de moi « Le gars vélo dans canal être toi ! » Les quelques autres à qui je n’avais pu refuser une poignée de main eurent le même sourire amusé. « As-tu pêché gros poisson ? » ajouta un autre type qui nous avait rejoints à partir de l’embarcadère de la cimenterie.

A la jonction avec l’Ourcq, deux camps s’affrontèrent. Ceux qui préféraient aller au plus court par la rue de Flandre quitte à combattre la milice tout de suite et l’autre groupe préférant rejoindre Stalingrad par le bassin de la Villette. Le gars du périphérique qui avait l’habitude de faire la manche Porte d’Aubervilliers, nous informa que le groupe des recycleurs s’était fait coincer dans la rue de Crimée. Il y eut un débat, ceux qui ne voulaient pas se mêler à eux, car ils leur fauchaient une partie du métal et ceux qui ne pouvaient accepter d’abandonner des compagnons de galère. La discussion dura un bon moment. Le groupe commençait à trouver le temps long, déjà deux ou trois nous avaient quitté. Bassem coupa court à la discussion et partit tout seul soutenir ses camarades. Le temps sembla suspendu, j’étais sur le point de faire demi-tour trouvant que j’en avais assez fait pour les pauvres lorsqu’un gars me prit par le bras « Moi, je suis d’accord avec le copain au vélo ! On suit Bassem ! Saorato ! » Il me tira d’un coup sur la manche « Hein gars ! » Je ponctuais d’un « Heu… » malheureux, soutenu en cœur par « Saorato ! » et tout le groupe se mit en branle au pas de course pour rattraper Bassem. Et moi aussi.

Il ne nous fallut pas longtemps pour comprendre que la situation n’était pas à notre avantage. La milice distribuait les coups de matraque électrique à tout-va pendant que les forces de l’ordre nous douchaient gratuitement. Chacun tenta de trouver un abri de fortune pour échapper à la violence de jet. Dans la pagaille générale, je détalais pour rattraper Bassem. Je fus fauché au niveau des chevilles par un torrent d’eau. Je me retrouvais sur le cul. Lorsque je tentais de me relever, je retombais immédiatement. Je fus envoyé contre un platane qui m’accueillit à bras ouverts. A partir de là, je perdis connaissance.

Il y a eu d’abord la brume vaporeuse, puis maman. Elle me désignait un endroit du doigt. Je sentais qu’elle était contrariée que je ne perçoive ce qu’elle s’efforçait de me montrer. Je me levais pour lui expliquer rien, car les mots refusaient obstinément de passer la muraille de mes dents. Sans raison aucun, elle fut remplacée par ma petite sœur qui me traitait de crétin et qui me tapait sur le dessus du crâne avec sa poupée Mamika. La poupée perdit la tête et mon père se pencha sur moi pour dire qu’il ne fallait pas recracher le gras du jambon. Puis il me prit dans ses bras, me berça doucement et tendrement ce qu’il n’avait jamais fait de toute sa vie.

- Papa, pourquoi ne m’as-tu jamais aimé ?

- Hé fils, tu crois quoi ?

Jour 36

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